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jeudi 20 mai 2010

Haïti : le mirage cubain

On prétend, mais je n’ai jamais vérifié, que, par temps très clait, on peut parfois d’Haïti apercevoir, dans le lointain, la côte orientale de Cuba. Est-ce là une forme d’un mirage cubain dont un avatar s’observe en matière d’éducation?

La proximité géographique des deux îles (Cuba et l’ancienne Hispaniola, où voisinent aujourd’hui, Haïti, pour la partie occidentale, et la République Dominicaine dans la partie orientale) et d’apparents parallèles historiques et économiques (colonisations européennes esclavagistes et agro-industrie sucrière) incitent à les rapprocher sinon on à les comparer.

Sur le plan éducatif, que le séisme du 12 janvier 2010 a mis au centre des préoccupations des gouvernements comme des organisations internationales et des ONG, le modèle cubain fait rêver, que ce rêve soit idyllique ou qu’il prenne la forme d’un cauchemar !

Le modèle cubain est souvent invoqué dans les débats sur l’éducation dans les pays en voie de développement, comme le fut naguère le modèle guinéen. Les choses sont infiniment plus sérieuses à Cuba qu’elles ne le furent dans la Guinée de Sékou Touré ! En prenant le pouvoir en 1959, Fidel Castro, en nationalsant l’éducation, et en l’inscrivant officiellement dans l’idéologie communiste, fit aussi de ce secteur une priorité nationale effective et, par là, une vitrine du régime.

De ce fait, Samuel Pierre, présentant, l’an dernier, en Haïti, les perspectives ouvertes par le Groupe de Travail sur l'Education et la Formation (GTEF) ( qui, depuis deux ans, oeuvrait à élaborer un projet de « Pacte national sur l'éducation et la formation »), après avoir rappelé «qu'aucun pays sur la terre n'a pu progresser ni se développer sans un investissement systématique et soutenu dans l'éducation », a cité Cuba comme première illustration de cette thèse.

Indépendamment des aspects idéologiques qui, somme toute, peuvent être regardés comme relativement secondaires sur le fond du problème, on doit prendre en considération, avant toute chose, la grande différence entre les situations cubaine et haïtienne. Elle tient d’abord et surtout à leurs situations linguistiques.

Il y en effet un mystère historico-linguistique. Il tient à ce que, dans des conditions historiques et économiques, en apparence très voisines sinon identiques, des créoles français sont apparus, en Haïti comme aux petites Antilles, tandis que des langues du même genre ne se sont pas formées dans les colonies espagnoles. En Haïti , la langue première des Haïtiens est un créole français, tandis que, dans les deux Etats les plus proches, à l’Est la République Dominicaine et à l’Ouest Cuba, la seule langue en usage est l’espagnol, à peine marqué par des traits régionaux, mais pas plus qu’il ne l’est dans d’autres Etats hispanophones de la zone américaine.

Ce n’est évidemment pas le lieu de proposer des réponses à cette énigme des sciences du langage (même si le débat est aussi interessant que controversé), mais on voit d’emblée, le problème que pose, dans le cas d’Haïti, l’existence de ce créole qui, quoique reconnu, aux côtés du français, comme langue officielle, n’a qu’une place très modeste dans le système scolaire où le médium éducatif majeur est le français, qui n’est parlé que par moins de 10% de la population et est ignoré, de ce fait, de la plupart des enfants haïtiens qui sont scolarisés (50% d’une classe d’âge environ).

Comme on vient de le constater par les perspectives ouvertes par le GTEF, rares sont ceux ou celles qui, comme Edith Efron (1954), se posent la question suivante « L’analphabétisme est-il toujours un mal ? » et concluent par la négative, en soutenant que la paysan haïtien, sans tirer un réel profit de l’éducation moderne, y perd le contact avec les structures sociales et culturelle traditionnelle.

Avant de rêver sur le modèle cubain, sans voir les profondes différences entre les deux Etats (pour ne citer qu’un fait, assez significatif, les Espagnols créent des universités dans leurs colonies de la zone dès le dix-septième siècle !), on doit poser et résoudre le problème de la langue de l’école.

Depuis un demi-siècle, le rôle du français comme médium scolaire majeur est contesté aussi bien par une minorité d’Haïtiens que par des groupes d’enseignants, haïtiens ou américains, souvent protestants, qui militent pour une éducation de base en créole, où le français, l’anglais et l’espagnol seraient éventuellement enseignés comme langues étrangères. Tout donne à penser que cette idée qui n’est assurément pas nouvelle, est à la base du Plan Vallas (évoqué dans des posts précédents) qui est, semble-t-il, soutenu par la Banque Interaméricaine de Développement (BID). Son président, Luis Alberto Moreno, vient d'ailleurs de venir en mission à Port-au-Prince les 14 et 15 mai 2010.

Le prétexte du changement est tout trouvé, puisque l'article 38 de la Constitution haïtienne de 1987 rend obligatoire l'enseignement primaire gratuit, alors que tout indique que 80% des écoles haïtiennes sont privées, donc payantes, et que seuls 50% des enfants haïtiens sont réellement scolarisés et cela dans des conditions que nul ne considèrent comme convenables.Certes la BID promet d’engager, sur 5 ans, 50 millions de dollars américains, mais si l’on prend en compte que, selon les données officielles (MENFP, 2005), il y a en Haïti 70.000 enseignants, dont 85% n’ont reçu aucun formation professionnelle et dont 30% ont un niveau de scolarisation inférieur à la 9ème année de l’école fondamentale, la pente sera très dure à remonter, même si, depuis un quart de siècle, la non-application du texte de 1987 n'a pas posé beaucoup de problèmes!.

Encore faudrait-il d’abord savoir ce que l’on veut que soit l’école haïtienne sans trop rêver sur le modèle cubain !

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