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lundi 24 mai 2010

Haïti : le Vallas ou lavalas ?

Le hasard est malicieux. Voilà que pour remettre sur pied l’école haïtienne, il est allé pêcher, au fin fond de la classe des policiens des Etats Unis, un certain Vallas dont le nom évoque forcément pour les Haïtiens, vu les circonstances de la catastrophe, « lavalas », terme créole qui désigne une pluie torrentielle accompagnée souvent de glissements de terrain.

Le hasard est même doublement malicieux. En effet on nomme « Fanmi
lavalas » ou, plus communément par abreviation, « lavalas », le parti populiste créé en Haïti par le Père Jean-Bertrand Aristide (dit « Titid »), qui, après la chute de Baby Doc Duvalier (qu’il avait lui-même provoquée), prit le pouvoir dans le pays. Réélu président de le République en 2004, dans des conditions uu peu douteuses (93% des voix des 5% de votants !), Aristide dut quitter le pouvoir et s’exiler en 2004. Ses partisans demeurent néanmoins actifs (à en juger, du moins, par les inscriptions sur les murs de Port-au-Prince) et un nom comme celui de Vallas ne peut manquer de susciter des échos dans l’esprit de bien des Haïtiens !

Le hasard est même triplement malicieux. Ce mot « lavalas », que l’on croit, en Haïti, proprement local, se retrouve, en fait, dans tous les créoles français du monde, des Antilles aux Mascareignes et aux Seychelles. Une telle situation prouve évidemment une origine française que nul ne soupçonne, comme dans les cas de bien d’autres termes créoles, et que confirme, sans problème, le Trésor de la langue française : « Avalaison ou avalasse : Torrent formé par de grosses pluies ou par la fonte subite des neiges. P. ext. Amas de pierres entraînées par cette chute d'eau ».

Le Vallas et « lavalas » ?
Ce rapprochement souligne, de façon heureuse et ambiguë à la fois, ce qu’a d’insolite, pour ne pas dire d’absurde, dans le règlement des problèmes haïtiens, l’étrange recours à un obscur politicien américain, apôtre incontestable d’une politique éducative qui s’inscrit dans la ligne de la réforme Bush , plus ou moins reprise, en douce, par Obama. Cette politique vise essentiellement, en effet, aux Etats-Unis, à réduire les coûts de l’éducation primaire (par diverses formes de privatisation), tout en tentant d’augmenter son rendement (par le système des « écoles à charte » ou les évaluations multiples des enseignants comme des élèves). On a du mal à saisir le rapport avec la situation haïtienne !

Si Paul Vallas a été amené à travailler à la Nouvelle-Orléans après le cyclone Katrina, ce n’est nullement en raison d’une compétence particulière dans les cas de remédiation de catastrophes naturelles, mais parce que son soudain changement de camp politique (il venait de passer brusquement du Parti démocrate aux Républicains) lui interdisait son ancien fief de Chicago comme je l’ai montré dans un post précédent.

Le voir préposer, par la Banque Internaméricaine de Développemnt, à la « reconstruction du système éducatif » d’Haïti, Etat dont il ignorait tout et même peut-être jusqu’à la simple localisation géographique, est proprement aberrant et, en même temps, tout à fait caractéristique du traitement général des problèmes de ce malheureux pays.

Si grands que soient les problèmes du système scolaire des Etats-Unis (ils sont immenses et ont justifié les tentatives de réformes mises en place par Bush et poursuivies actuellement par Obama, dont le Secrétaire d’Etat à l’éducation est un ancien collaborateur de P. Vallas à Chicago, ce qui montre bien que tout se tient !), ils n’ont absolument rien de commun avec ceux d’Haïti ; ces derniers tiennent en effet à la fois aux problèmes que posent la situation linguistique de cet Etat, mais aussi et surtout à la quasi-inexistence d’une structure scolaire réelle.

Tenter de « reconstruire » à l’identique un système scolaire qui n’existe à peu près pas, au lieu de le «repenser » de fond en comble, donc ne pas le « refonder », en fonction d’une analyse globale et lucide d’abord de la situation génerale en particulier linguistique, ensuite des moyens dont on peut disposer et enfin des objectifs qu’on souhaite atteindre, est une pure folie, mais c’est, hélas, la voie dans laquelle on engage Haïti.

On le fait à la fois par le Plan Vallas, mais aussi par les propositions qui risquent de sortir de la réunion que va tenir, les 25 et 26 mai, à Montréal, l’Agence Universitaire de la Francophonie. Comment espérer voir des idées novatrices et adaptées sortir d’une assemblée « mondiale » où voisineront des notables universitaires venus de l’Afrique, de l’Europe de l’Est et de l’Asie, hors de mesure, pour la plupart, de situer Port-au-Prince sur un planisphère muet et d’autres notables universitaires, haïtiens pour le coup, mais qui, fort légitimement d’ailleurs, n’ont pas la charge, expresse et première, de « refonder » le système scolaire national. En tant que médecins, juristes, physiciens, etc., ils ont pour objectif unique et immédiat de rétablir, au plus vite et du mieux possible, les facultés ou établissements universitaires dont ils ont la charge?

L’analyse globale de l’école haïtienne qui est l’enjeu majeur pour le pays a été faite par Madame E. Préval elle-même, le 10 mars 2010 et j’en rappelle les termes essentiels :
« Il m’a été dit que 77 % des établissements d’enseignement existants (publics et privés confondus) n’étaient pas reliés au réseau électrique. Dans les régions rurales, cette proportion atteint 91 %. 65 % de nos écoles n’ont pas l’eau (et je ne parle pas ici d’eau potable). 74 % d’entre elles n’ont pas de bibliothèque ; 31 % sont situées dans une église, 16 % dans une maison privée et 19 % dans des locaux précaires.

Seuls 29 % des enfants inscrits en première année atteindront la 7ème année. Quel gâchis ! Telles sont les raisons de notre souci de la qualité. Lorsqu’un enfant doit passer 6, 7 ou 8 années à l’école sans être en mesure de lire d’écrire, de calculer, de résoudre des problèmes et de commencer à apprendre par lui-même, c'est un gâchis pour l'enfant lui-même, sa famille et la société dans son ensemble. Nous devons veiller à ce que l’éducation qu’il reçoit soit de qualité.

Je crois savoir que moins de 30 % des enseignants possèdent les qualifications requises pour enseigner. La disponibilité d’enseignants qualifiés est un préalable à une éducation de qualité. Tout en œuvrant pour la reconstruction, nous devons lancer un programme massif de formation des enseignants ».

La parution très récente d’un ouvrage (Deschamps, Haïti, 2010), qui confirme et même aggrave les précédentes données, devrait pourtant rendre plus pressante encore la nécessité de « repenser » tout le système scolaire, et surtout de le faire dans le cadre général de la formation des maîtres et, donc, de la redéfinition des missions et par là des structures des facultés de l’université elle-même qui ont la charge directe de cette formation. Il s’agit du livre Enseigner le créole et le français aux enfants haïtiens. Enjeux et perspectives, dont l’auteur est assurément l’une des voix les plus autorisées du pays, puisqu’il s’agit de Pierre-Michel Laguerre, qui est actuellement Directeur général du Ministère de l’Education et de la forimation professionnelle !

Naturellement, seuls des Haïtiens ont le droit moral de souligner ce que la catastrophe du 12 janvier 2019 pourrait, au-delà de son horreur, avoir de positif. Quelques voix lucides se font entendre et se manifestent en faveur d’une vraie « refondation » générale et non du simple replâtrage de ce que le séisme a détruit. « Il faut toujours savoir tirer du malheur quelque chose de bon » souligne Jean-Vernet Henry, recteur de l’UEH. Myrtho Bonhomme se prononce également dans le même sens en disant : «Le séisme va inévitablement modifier la façon dont la formation est dispensée en Haïti. Ce dont on a besoin, c'est la vision. Malheureusement, c'est ce qui nous manque le plus ». Comment ne pas être d’accord avec une tel propos ! Le mieux placé de tous est sans doute J. Lumarque, recteur de l’Université Quisqueya, qui préside le Groupe de Travail sur l'Education et la Formation (GTEF), organe qui, depuis 1998, a oeuvré à élaborer le projet de « Pacte national sur l'éducation et la formation ».
J. Lumarque soutient, en effet, lui aussi que « C'est une occasion pour nous de sortir la formation universitaire des salles de classe qui l'ont souvent étouffée ».

Puissent-ils être entendus, car demain il sera trop tard !

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