Haïti a été à l'honneur en ce début de semaine sur France 2 avec la projection d'un téléfilm en deux épisodes consacré à Toussaint-Louverture. Je ne dirai pas grand chose sur le film lui-même qui est honorable et, par extraordinaire, n'a pas suscité trop de réactions chez les spécialistes français de l'histoire d'Haïti.
Le principal reproche que je ferai à ce film est qu'y alternent sans cesse les séquences situées dans le Fort de Joux, où se déroule l'action finale et où le héros est mort et les flash-backs incessants sur son passé ; cela finit par être un peu pénible, mais on a dû considérer qu'il y avait dans ses séquences alternées une découverte majeure dans l'histoire du télé-cinéma. En fait, un récit suivi, du début à la fin, aurait été, somme toute, plus agréable et surtout nous aurait épargné l'idylle inutile,et superflue entre l'officier chargé de garder Toussaint-Louverture et la servante qui, n'est là que pour constituer "l'arlequinade" sans laquelle on ne peut plus produire un film à la télévision française.
Je ne dirai donc pas grand-chose sur le film lui-même sinon sur ses aspects linguistiques ; grâce à des figurants haïtiens, on a introduit une partie des dialogues en créole haïtien authentique, alors que la plupart des discours et des propos (aussi bien pour les Français eux-mêmes que pour Toussaint-Louverture et les siens, esclaves, officiers et soldats) sont tous tenus dans une langue moderne et châtiée qui n'était certes pas celle de Saint-Domingue à la fin du XVIIIe siècle. Je reconnais que ce problème n'était pas facile à traiter et que cela n'a pas dû gêner beaucoup de téléspectateurs.
Je trouve, comme les historiens français spécialisés qui se sont exprimés sur ce point, que dans l'ensemble, le personnage central a été assez bien campé dans ses ambiguïtés. Les relations entre Toussaint-Louverture et les blancs sont complexes comme elles l'ont sans doute été dans sa vie, même si ses rapports avec son maître n'ont pas été aussi idylliques qu'ils le sont dans le film. Le fait que c'est bien ce dernier qui, en l'affranchissant dans la trentaine, lui a sans doute ouvert la voie d'abord vers une première partie de vie de "libre" nanti (il aura lui-même des esclaves comme bon nombre de "libres"). Les rapports avec Sonthonax comme avec le général Lavau ou avec Leclerc sont sans doute un peu idéalisées, mais, dans l'ensemble, on peut considérer que l'histoire est, grosso modo, respectée.
L'ambiguïté toutefois se trouve dans la vie même de Toussaint-Louverture puisque, s'il fut, d'une certaine façon, le père de la libération des esclaves et de l'indépendance d'Haïti (qui toutefois ne sera proclamée que par Dessalines), il eut aussi l'intelligence politique et économique de comprendre qu'il fallait d'abord remettre sur pied l'économie sucrière du pays. C'est ce qui l'a conduit à chercher d'abord à restructurer l'économie plantationnaire que l'insurrection avait naturellement conduit à détruire.
C'était déjà là un peu le paradoxe qui préfigurait la suite de l'histoire du pays, puisque la terre qui avait porté la révolte qui devait conduire à l'émergence de la première république noire dans l'histoire du monde, a été aussi celle où, dans la suite, s'est maintenu, à peine changé, le système de grandes propriétés plantationnaires, alors qu'on aurait pensé que les esclaves libérés allaient devenir de petits propriétaires dans le cadre d'une grande révolution agraire. Le seul changement fut celui des bénéficiaires du système qui seront, au XIXe siècle, les généraux noirs dans le Nord et les mulâtres dans l'Ouest et le Sud.
J'ai en revanche très vite arrêté de regarder le débat qui a suivi, en raison de la composition même de cette réunion qui se tenait au Musée du Quai Branly et dont aucun participant n'avait manifestement la moindre connaissance de l'histoire haïtienne, pas même l'historien de service comme on va le voir.
On avait réuni, sous la direction de Benoit Duquesne qui, comme tous nos journalistes n'avait même pas pris la peine de regarder une carte sans parler même de lire un livre, un étrange ensemble de commentateurs : Françoise Vergès, qui me paraît guère connaître l'histoire et les réalités haïtiennes et dont le principal titre à être présidente du "Comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage" est de descendre directement elle-même, en dépit des apparences, de propriétaires d'esclaves à la Réunion; Marcel Dorigny, membre lui aussi de ce même Comité mais qui n'est guère plus familier de ces réalités dominguoises comme on va le voir; deux des acteurs du film dont le héros, Haïtien lui-même, mais surtout Sonia Rolland (ex Miss France!), dont je ne suis pas sûr qu'avant ce film, elle ait été en mesure de situer Haïti sur un planisphère muet. Enfin, cerise sur le gâteau, l'inénarrable Lilian Thuram, ex-footballeur à lunettes (preuve évidente de grandes capacités intellectuelles), qui est désormais l'invité obligé dans tout débat sur la négritude et/ou l'esclavage.
L'historien de service était donc Marcel Dorigny qui n'a même pas remarqué deux problèmes et/ou erreurs historiques majeures du film sur lesquels je ne m'attarde un instant parce que je n'ai rien à dire d'autre sur ce débat que j'ai rapidement cessé de regarder.
Dans le premier épisode la "cérémonie" du Bois Caïman qu'on regarde souvent comme un épisode fondateur de l'histoire d'Haïti est un événement dont la réalité historique a été mise en doute On peut lire sur ce point l'article de Léon-François Hoffmann, « Histoire, mythe et idéologie : la cérémonie du Bois-Caïman», 1990, Études créoles, 13, no. 1, 9-34. Je suppose que M. Dorigny ne connaît ni ce texte ni, plus généralement, le problème, mais un historien sérieux aurait signalé le problème vu l'importance de cette scène qui est un peu le clou du film!
Seconde ignorance plus incontestable et plus choquante.
Dans le film, en effet, dans la scène où le maître de Toussaint-Louverture lui annonce son affranchissement, il fait un discours à ce propos dans lequel il précise, Dieu sait pourquoi, que la plantation a produit de 300 tonnes de sucre et que Toussaint a été pour beaucoup dans cette réussite économique (d'où son affranchissement). Or cette scène se produit bien avant le moment où la révolution française (en 1795) a pris la décision qui instaurait le système métrique pour les unités de longueur, de volume, de masse ( et de temps). Le kilo et donc, a fortiori, la tonne n'existaient donc pas ; dans le texte français de 1795 on ne parlait d'ailleurs pas de kilo mais de "grave"! On ne pouvait guère user de ce système à Saint-Domingue alors qu'il n'existait pas encore en France !
Un « expert » comme Marcel Dorigny aurait dû, de toute façon, noter et signaler le problème (pour Bois-Caïman) et l'anachronisme qui évidemment ne pouvaient qu'échapper aux autres participants au débat. Un "expert" n'est-il pas là pour ça?
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