Se trouvera-t-il chez nous un Jules César capable de contrer la menace germanique ? On se souvient que Rome ayant refusé la proposition d’Arioviste de partager la Gaule entre Romains et Germains, César, en 58, défit ces mêmes Germains à la bataille de l’Ochsenfeld, les rejetant ainsi au-delà du Rhin.
Nous n’en sommes pas encore là, et la menace germanique est désormais plus économique que militaire, fort heureusement. On sait, en effet, que, à la louche, l'excédent commercial allemand est trois fois supérieur à notre propre déficit dans le même domaine. Comme, par ailleurs, les Allemands ont un taux de chômage très inférieur aux nôtres (quels que soient les raisons de cette situation et les moyens mis en oeuvre pour y parvenir, car les gouvernements truquent les chiffres des deux côtés) et un niveau de vie globalement très comparable au nôtre, tant sur le plan du pouvoir d'achat que sur celui du système social, le modèle allemand (« germanicum exemplum ») fait donc recette désormais parmi nos politiques.
Le problème est qu'il y a à peu près autant de positions théoriques sur ces questions que d'économistes qui en présentent. Il est d'autant plus difficile de s'y retrouver que, si les uns se bornent à s'inscrire dans tel ou tel type de pensée économique, il en est d'autres (et ce sont souvent ceux qu'on voit dans les médias) qui ont parfois des intérêts très directs voir purement promotionnels dans l'exposé et la défense de telle ou telle théorie. Il n'y a donc pas grand-chose à tirer de ce côté-là car n'importe quel politique, « pensant » n'importe quoi, pourra toujours trouver un économiste prêt à conforter sa position par quelques arguments réputés scientifiques.
Sur RMC-BFM-TV Jean-Jacques Bourdin interviewait, ce matin, Arnaud Montebourg qui, comme toujours a eu quelques propos définitifs, en particulier sur les « Allemands pauvres » (et non pas les « pauvres Allemands » puisque notre belle langue française fait, par la place de l'épithète, à la différence du « bonnet blanc blanc bonnet » toujours cité, une distinction subtile qui échappera toujours aux épais Teutons !). Le bel Arnaud estimait les salaires de ces Allemands employés à temps partiel aux alentours de 400 € et jouait des mélodieux accents de sa voix de velours pour susciter la compassion à leur endroit.
Or, il se trouve que j'ai regardé, hier même sur France 5, l'émission d'Yves Calvi « C'est plus clair » qui, en dépit de la sempiternelle présence d'intervenants abonnés, demeure l’une des émissions les moins inintéressantes de notre télévision. L’un des invités, d'origine allemande, Hans Starck, est intervenu de façon autorisée sur cette question et cela d'autant plus qu'il est un spécialiste des relations franco-allemandes.
Tout en reconnaissant bien entendu (et comment le nier ?) qu’il y a en Allemagne un fort pourcentage de travailleurs à temps partiel, il a fixé la rémunération de ces travailleurs aux environs de 700 ou 800 € plutôt qu'aux 400 euros qu'évoquait M. Montebourg. Il a d'ailleurs précisé qu'en revanche, la rémunération des travailleurs spécialisés (puisque l'Allemagne s'occupe, elle et depuis toujours, de former des techniciens et des spécialistes plutôt que des psychologues comme le fait la France) était beaucoup plus élevée (parfois trois fois plus importante) et que donc nombre de travailleurs allemands ont des salaires très supérieurs à ceux de leurs homologues français. Les frontaliers français le savent mieux que quiconque !
Hans Starck a souligné aussi deux points qui me paraissent essentiels et dont nul ne parle naturellement !
Le premier est que la vie en Allemagne est beaucoup moins chère qu'en France, contrairement à ce que l’on pense souvent. Sur ce point, le témoignage de M. Starck n'est pas indispensable ; il suffit d'aller en Alsace pour s'en rendre compte quand on découvre que les Français vont faire leurs courses en Allemagne alors que l’inverse est vrai pour la Suisse. Comme on le sait, les rois du « hard discount » sont des sociétés allemandes, dont la plus connue est sans doute celle des frères Aldi. Cet aspect m’a été confirmé par de nombreux amis qui sont allés ou ont vécu en Allemagne, car, si j'y suis allé, à différents entreprises, je n'ai guère eu l'occasion d'y faire des courses et donc de me rendre compte de ces différences dans les prix.
Le deuxième point essentiel est que les loyers sont beaucoup moins chers en Allemagne qu'en France. Hans Starck a avancé, sur ce point précis, des prix de loyers mensuels courants de 150 à 200 €. Allez donc trouver dans une ville française, moyenne ou grande, le moindre studio à moins de 400 € ? Les explications sur ce point ne manquent pas ; elles tiennent à ce que, dans le dernier demi-siècle, vu les destructions de la guerre, on a énormément construit en Allemagne. Par ailleurs, la croissance démographique est, comme les Français se plaisent à le rappeler sans cesse, bien plus importante en France ; les lois du marché entraînent donc inévitablement, en Allemagne, la baisse des tarifs de location. Il serait intéressant d'ailleurs, mais c'est un autre problème dont je traiterai un jour ou l'autre, de se pencher sur cette question de démographie française mais d'envisager, au-delà des chiffres eux-mêmes qu'on se garde de voir de trop près, les conséquences d'une telle situation. L'argument sans cesse avancé selon lequel ces « jeunes » paieront les retraites devrait être modulé aussitôt par le fait que pour les payer, dans l’avenir les retraites, encore faudrait-il que les dits "jeunes" aient exercé, en leur temps, une activité quelconque. Naturellement cet aspect, comme quelques autres aussi importants mais frappés de tabou linguistique, est totalement écarté de ce type de réflexion.
Il résulte de la conjonction de ces divers facteurs que, toujours d'après le témoignage de M. Starck, on vit bien mieux – ou en tout cas beaucoup moins mal - en Allemagne qu'en France avec 800 € mensuels et que, dès lors, toute comparaison avec l'Allemagne doit être éclairée à la lumière de ces faits.
Imaginer que nous allons nous élever à la hauteur économique de l'Allemagne par les mesurettes qu'on envisage ou, au moins, dont on parle, c'est oublier à la fois que cet effort a été fait par les Allemands depuis 15 ans au moins et surtout que le tissu industriel allemand est, à tous égards, extrêmement différent du nôtre dans sa structure comme dans ses modalités.
Tout le monde le sait bien en fait, mais évidemment tout le monde s'abstient d’en parler, surtout en période électorale !
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