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dimanche 5 février 2012

Les malices du hasard : « Etonnants voyageurs ».

Comme vous le savez, chère lectrice, cher lecteur, je me plais souvent à souligner les malices du hasard qui se fait volontiers farceur en tout temps mais également, comme vous allez le voir, en tous lieux, même quand ils paraissent les moins propres à la facétie

Ainsi, vient de se tenir en Haïti une réunion d'écrivains et de cinéastes qui avait pourtant titre « Etonnants voyageurs ». Elle devait se tenir à Port-au-Prince il y a deux ans, en février 2010, mais le séisme "Goudou Goudou" (c'est le nom qu'on lui a donné ensuite dans le créole local) survenu le 12 janvier 2010 et qui avait fait dans le pays 200.000 ou 300 000 morts en détruisant quasi complètement la capitale Port-au-Prince avait provoqué son annulation. Pour le coup, les voyageurs prévus étaient moins « étonnants » qu’« étonnés ». Dans la suite, au séisme de 2010 a succédé en 2011, une épidémie de choléra qui a conduit à différer, pour la deuxième fois, ce festival qui, entre temps, s’était tenu à Saint Malô.

Cette année le festival a eu lieu comme prévu et il vient de s’achever, sans la moindre catastrophe. En revanche, au même moment mais commencée depuis quelques mois, se joue, en Haïti, une comédie politique où il est fort question aussi de "voyageurs" qui sont tout aussi étonnants, quoique à des titres différents et qui tous appartiennent au monde politique local.

On sait que c'est avec de grandes difficultés qu'ont eu lieu, il y a maintenant plus d'un an, les élections présidentielles haïtiennes ; le nouveau président, Michel Martelly, un ancien chanteur surnommé, en créole, « tèt kalé » en raison de son absence de cheveux (du verbe français « écalé », dont on usait surtout pour les œufs, ce qui, en la circonstance, est particulièrement convenable) , a été élu non sans difficultés, avant d'en connaître plus encore dans la formation d’un gouvernement.

Le problème majeur du président est que, quelles que soient les conditions de son élection par le peuple, il ne dispose d'aucun soutien parlementaire et que, par conséquent, il a eu beaucoup de mal à constituer un gouvernement dont le Premier Ministre Garry Conille, choisi après le refus parlementaire de deux ou trois autres propositions, a été fortement contesté dès sa nomination.

Le problème d'Haïti tient à ce que la plupart des hommes politiques, vu le contexte économique général du pays, ont passé quelques années en Amérique du Nord, aux États-Unis ou au Canada, où ils se sont, pour beaucoup, cherché des fonctions diverses, en particulier dans des organismes internationaux.

De ce fait les rapports entre les Haïtiens demeurés au pays et ceux qui ont choisi, pour des périodes plus ou moins longues, voire définitivement, de faire carrière hors d'Haïti dans la diaspora nord-américaine, sont, pour le moins, complexes ; les premiers reprochent aux seconds d'avoir fui les réalités nationales, alors même que beaucoup d'entre eux seraient prêts à le faire s'ils en avaient la possibilité. La fuite des cerveaux est un problème constant d'Haïti, à un degré plus élevé encore que dans de nombreux pays qu'on disait autrefois en voie de développement, quand on croyait encore à cette illusion.

De ce fait, au sein de l'opposition parlementaire à laquelle le président Martelly se trouve confronté, de nombreux hommes politiques, revenus au pays ou qui n’en sont pas partis, s’emploient à tailler des croupières aussi bien au président lui-même qu'à la plupart des ministres qu'il a désignés. S’ajoutent à cela les rivalités entre les partisans des anciens présidents puisque trois d’entre eux au moins (Duvalier dit « Baby Doc », Aristide et Préval) sont toujours au pays !

La voie de la contestation politique de l'équipe présidentielle et ministérielle consiste, vu les dispositions de la loi électorale locale, à tenter d'établir que le président comme nombre de ses ministres disposent, outre leur passeport haïtien, de passeports d'autres pays, ce qui permet de contester leur droit à exercer en Haïti ce genre de fonction.

« Étonnants voyageurs » aussi, quoiqu'ils soient revenus au pays, qu’on soupçonne d’avoir eu ou de détenir encore plusieurs passeports, l'un d'entre eux étant naturellement le passeport haïtien. De ce fait, si les faits sont avérés, ils ne peuvent légalement prétendre à exercer en Haïti les fonctions qui sont actuellement les leurs.

Tout cela est bien compliqué et les faits paraissent des plus difficiles à établir, même au prix de recherches approfondies dans les documents de voyage auprès des compagnies aériennes et des services d’immigration.

Le vrai festival « Etonnants voyageurs » vient de s’achever à Port-au-Prince, mais le psychodrame politique autour des ministres et du président qui, à leur façon, sont aussi « d'étonnants voyageurs » ne fait que commencer et bien malin qui peut véritablement en prévoir le dénouement. Témoigne de cette difficulté la dernière réplique du Président Martelly, vendredi dernier, au moment où il partait pour le Vénézuéla : « Le passeport du président restera dans sa poche » !

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