Publication le 2 août 2013 dans le Club de Mediapart d'un article intéressant sur un sujet que je comptais précisément aborder sous un tout autre angle et qui était intitulé : « L'orientation politique ultralibérale de la Cour des Comptes » (par Thomas Coutrot, Pierre Khalfa et Jean Loye qui, nous dit-on, sont membres de la Fondation Copernic et d'Attac).
Je ne suis en rien économiste et je n'ai sur les questions de politique économique que le point de vue du simple citoyen ou, si l'on veut, du Huron. En revanche, je suis professeur de langue et littérature françaises et, comme tel, attentif à la fois la langue elle-même et à l'analyse des textes. Je n'aborderai donc ici aucun problème de fond (je réserve ces points pour un autre billet) et je m'en tiendrai à la lettre et au texte de cet article, en son début surtout.
L'article commence par la phrase suivante que je cite exactement :
" La Cour des comptes exige [souligné par moi] des coupes d'urgence dans les dépenses sociales » titrait Le Monde du 28 juin 2013 qui redoublait [sic] en pages intérieures par cette précision : « La Cour des comptes exige [souligné par moi] des mesures d'urgence.». Ces titres résument parfaitement le problème posé actuellement par l'activité de la Cour : elle "exige" la mise en œuvre d'un certain type de politiques publiques. Est-elle dans son rôle?".
Le problème est assez bien posé mais les termes sont-ils convenables ? Ce que l'on entend discuter dans cet article est "l'orientation politique" de la Cour des comptes et non pas les titres ou les formulations du Monde à ce propos dans son numéro du 28 juin 2013. Il serait sans doute possible, mais assurément très fastidieux de relever si, dans les formulations de la Cour des Comptes elle-même (et non dans celles du Monde) figure, avec une telle insistance et répétition, le verbe EXIGER. J'y viendrai plus loin.
N'aurait-il pas été, en tout cas, plus honnête, dans un article qui porte sur la Cour des comptes, de citer les textes mêmes des rapports de cette institution ou ceux qu'elle produit (dans son site par exemple) plutôt que l'allusion qu'y fait Le Monde. Il est vrai et ce point n'est sans doute pas à négliger que la première version de ce même article avait été publiée ... par Le Monde !
Cet article rappelle ensuite que la Cour des comptes voit ses missions définies en ces termes par l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. Il précise même : « C'est là sa charte fondamentale, inscrite au fronton de sa "grand- chambre". Cette même formule orne également son site.
C'est en effet la fonction de tout comptable public ; il a pour mission de vérifier la comptabilité de l'institution où il opère (dans une université c'est la fonction de l'agent comptable) ; en revanche, il n'en rien la capacité et moins encore le devoir de se prononcer sur l'opportunité des dépenses qu'il contrôle. Il doit borner strictement son contrôle à la régularité des comptes qui lui sont soumis et n'a en rien le droit de se prononcer sur leur pertinence.
C'est toutefois là que l'article en cause pose problème. En effet, le 23 juillet 2008 (et les auteurs ont l'honnêteté de le rappeler, mais comme un fait mineur qu'on mentionne en passant), la réforme constitutionnelle intervenue alors, a changé pour les "élargir" les missions de la Cour des Comptes. Selon l'article 47-2 de la Constitution (je cite ici l'article de Mediapart) « La cour assiste le Parlement et le gouvernement dans le contrôle de l'exécution des lois de finances et de l'application des lois de financement de la sécurité sociale ainsi que l'évaluation [sic] des politiques publiques ». Ce texte suscite deux remarques.
La première, de forme, est que ce texte est manifestement fautif comme le souligne mon [sic ]. C'est une évidence ; dans la fin du texte, il manque clairement une préposition ("dans" ou "de" selon le sens qu'on a voulu donner) devant « l'évaluation des politiques publiques ». C'est d'ailleurs ce détail qui a attiré mon attention et m'a conduit à vérifier le texte exact de la constitution. L'article 47-2 est en effet : " ... ainsi que dans l'évaluation des politiques publiques".
Seconde remarque ; les auteurs se sont gardés de citer la phase qui suit immédiatement et ajoute aux missions de Cour : « Par ses rapports publics, elle contribue à l'information des citoyens". Je pense que ce n'est pas par hasard que cette phrase a été omise.
Revenant en arrière, de façon tout à fait inattendue mais la ficelle est un peu grosse, les auteurs ajoutent "Son rôle était historiquement clair et il le demeure". Le problème est justement qu'il a été modifié et que c'est là précisément la finalité de l'introduction en juillet 2008 de l'article 47-2.
Si l'on se réfère, comme le veulent la logique et l'honnêteté, aux définitions que la Cour des comptes donne elle-même, d'après les textes, de ses missions et de son activité, on lit :
" Les contrôles et les évaluations de la Cour des comptes portent sur :
- la régularité : l’argent public est-il utilisé conformément aux règles en vigueur ?
- l’efficience et l’économie [souligné par moi]: les résultats constatés sont-ils proportionnés aux moyens mis en œuvre ?
- l’efficacité [souligné par moi ]: les résultats constatés correspondent-ils aux objectifs poursuivis ?
Des recommandations accompagnent les observations [souligné par moi ]de la Cour dans tous ses rapports publics. Ce sont des mesures concrètes pour remédier aux gaspillages et pour faire progresser la gestion des services publics au meilleur coût[souligné par moi ].
La Cour s'assure de la mise en œuvre de ses recommandations et des suites qui leur sont données. [souligné par moi ]".
C'est là précisément que se situe le problème. La Cour des comptes exige-t-elle ou recommande-t-elle ? En français, ces deux verbes ne sont en rien synonymes et les auteurs, en substituant les verbes "exige" ou "prescrit", alors que la Cour des comptes "conseille" ou "recommande" se livrent à une grave manipulation des textes. Des sondages rapides dans les rapports de Cour des comptes (très faciles grâce à l'ordinateur) ne m'ont donné aucune attestation d'énoncés où la Cour EXIGE quoi que ce soit!
La démarche de ce billet me paraît d'autant moins honnête que l'article 47-2 la charge expressément, comme on l'a vu, d'intervenir dans « l'évaluation des politiques publiques », ce qui conduit, très clairement et sans problème particulier, à en suggérer des améliorations dans les cas où l'évaluation conduirait à le faire.
Je laisse aux psychanalystes le soin d'interpréter le lapsus calami que les auteurs de l'article ont commis en omettant le "dans" précisément sur ce point!
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