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mardi 13 août 2013

Sport : dopage, paris et blanchiment

Vous m'accorderez que je parle rarement de sport, quoique je porte pas mal d'intérêt à ces activités, essentiellement en raison de mon passé dans ce domaine. Je m'amuse, en revanche, beaucoup de la façon dont les problèmes sportifs sont abordés par notre presse, écrite ou audiovisuelle. Dans une période difficile pour elle (à son avis du moins), elle vit en effet largement des sports, soit par le biais des sujets qu'ils lui offrent, soit par les publicités multiples qui y sont liées et qui la financent (pour la presse audiovisuelle, je pense surtout au système des paris).

Le Tour de France et les multiples épreuves sportives de l'été ont fait reparaître le "marronnier" du dopage dont on ne parle guère en dehors de ces périodes, qu'on évoque surtout pour le passé et auquel s'intéressent fort peu, en réalité, les premiers intéressés que devraient être les fédérations sportives. En fait, comme tout le monde le sait, le dopage règne en maître depuis plus d'un demi-siècle, sous des formes qui ont toujours évolué selon le même principe. Il consiste à mettre au point des techniques qui permettent d'échapper au mode de contrôle en cours ou qui masquent la prise de produits. Au fond, comme tout le monde se dope, tous les sportifs sont logés à la même enseigne et seules les performances sont faussées ; les classements des sportifs eux-mêmes resteraient sans doute à peu près identiques avec ou sans dopage.

Ces techniques ont souvent plus de conséquences, à long terme, sur la santé des sportifs, mais on s'en moque ; on connaît quelque cas célèbres, même si on en ignore une foule d'autres, plus obscurs ou inconnus, qui ont eu les mêmes conséquences funestes. Un des cas les plus drôles et les plus communs que je connaisse est la découverte soudaine du rôle d'une forme particulière de dopage qui règne, partout, dans toutes les salles de musculation (la "gonflette" !) qui sont devenus aujourd'hui de "fitness" ; l'auto élevage, à coup de super-protéines, d'anabolisants, de stéroïdes, etc., y a toujours été de règle. Dans les magazines spécialisés, on trouve d'ailleurs toutes les publicités qu'on veut pour des produits qui vous permettront de prendre 1 kilo de viande par mois, même si cela doit, à terme, vous ruiner la santé ou même vous tuer. Les packs de rugby ont ainsi pris 100 kilos de poids de corps en deux décennies ! Il y a quelques années, une vedette des publicités dans ce domaine, le fameux Momo Benaziza (à la louche 120 kilos pour 1.60 mètre) est mort à trente ans ! Les publicités en faveur des produits que Momo prenait et y vantait sont restées en place, dans les magazines spécialisés, durant quelques semaines après sa mort, ce qui était drôle mais un peu inquiétant !

Donc rien de particulier à dire sur le dopage, sinon que le renouvellement constant des produits dopants entraîne une course sans fin entre ce qui est fabriqué et vendu par les industriels et les quelques pauvres laboratoires chargés des contrôles et qui, entre les fraudes et les trucages, s'essoufflent à tenter de suivre le mouvement. De ce fait les révélations fracassantes (style Amstrong ou Ben Johnson) arrivent avec dix ans de retard !

Sport et paris ? Le rapport est évident, et cela justifie mon titre ;  le développement exponentiel des paris sportifs (autrefois, on se bornait à doper ou à endormir les canassons) a aujourd'hui gagné les sports collectifs et en particulier le football et même le handball, ce que montre l'affaire en cours avec les paris des joueurs de Montpellier. Le gardien de but de Montpellier n'avait d'ailleurs pas lieu, dans cette affaire, de se doper lui, bien au contraire, puisqu'il lui suffisait, en fait, d'encaisser quelques buts adverses pour toucher la mise !

Pour le football, je ne reparlerai pas ici de la fameuse affaire de Bernard Tapie et du match Valenciennes-OM (1993) sur lesquels on a tout dit ; en revanche, je me souviens parfaitement, mais nul n'en parle, des déclarations de Bernard Tapie, après la première défaite en finale de coupe d'Europe et avant que l'OM gagne lui-même cette coupe en 1993 (la même année et le même protagoniste ! Comme c'est bizarre !). Il avait, en effet, déclaré alors qu'il avait compris comment on gagnait la coupe d'Europe. Sa déclaration montrait clairement qu'il avait changé de stratégie et qu'il pensait désormais qu'il était plus simple et plus efficace d'acheter les arbitres que les joueurs. Si le trucage des matchs de foot vous intéresse, consultez donc le gros livre (413 pages) que D. Hill a consacré à la question et publié en 2008, Comment truquer un match de foot ?.

Pas grand-chose à dire sur les paris, désormais non seulement autorisés, multipliés et promus au rang de grande industrie nationale et même mondiale ; le développement de l'Internet comme la mondialisation du marché( avec en prime les décalages horaires) font qu'il est, en effet, devenu impossible de contrôler la régularité des paris, même si naturellement, et surtout en France, nous avons quelques organismes ou agences (GAFI, SCPC, etc.) chargées de ce contrôle, ce qui, après tout crée des emplois et donne une apparence de contrôle à l'État, qui est, lui-même, organisateur ou "parrain" de diverses formes de paris à travers la Française des jeux, les autorisations d'officines diverses et les casinos.

Le pire est que l'Etat tolère une publicité folle autour de ces paris dont la clientèle se recrute naturellement dans les franges les plus modestes voire les plus misérables de la population, exception faite, bien entendu, de ceux qui bénéficient des gains, licites ou illicites, de ces paris et/ou de ces fraudes et trucages.

Le rapport du sport avec le blanchiment d'argent, d'où qu'il vienne, est moins évident; encore qu'il puisse déjà s'établir (et chacun le sait) à travers le système des paris eux-mêmes qui permet de blanchir de l'argent illicite, comme on le fait aussi à travers les casinos. Noël Pons a traité de la question dans Cols blancs et mains sales. Economie criminelle, mode d'emploi (O. Jacob, 2006), avant et après la série des rapports parlementaires sur la question : voilà une autre de nos belles spécialités française qui commence, dès 1958, avec le rapport 3741 de Dominique Juillot et se poursuit en 2008 avec le rapport 693, sans parler du Rapport Bauer. On sait donc tout de ces magouilles. N. Pons résume une partie de ce système dans un article intitulé « Paris truqués, football et corruption », dont vous aurez facilement le texte dans par Internet.

Je n'insiste donc pas sur ces points, mais rappellerai plutôt ici un point d'histoire, peu connu, des rapports entre le football et le blanchiment d'argent. Quitte à être corrigé par des spécialistes plus avertis, je soulignerai le rôle qu'a joué dans tout cela le fameux Pablo Escobar, le milliardaire de la drogue et du football en Colombie, dont la fortune, avant les problèmes qui ont marqué la fin de sa vie, était, en 1989, évaluée par le magazine Forbes à 25 milliards de dollars. Honni par les États-Unis et, d'une façon générale, hors de la Colombie (sauf au Mexique), Pablo Escobar était adoré de la population colombienne à la fois pour ses œuvres sociales (il construisit 500 maisons pour les pauvres), mais plus encore pour son rôle dans le football. En effet, une petite partie de la fortune que lui procurait la drogue, était consacrée au paiement des joueurs de football colombiens. L'équipe nationale de Colombie, dont la vedette était le fameux Valderama, devint alors une des meilleures du monde, infligeant entre autres un mémorable 5-0 à l'Argentine! Le football permettait ainsi à la fois à Escobar d'asseoir sa popularité pour empêcher toute extradition et de blanchir une partie de l'argent de la drogue.

Pablo Escobar a été tué en 1993 et en 1994, un joueur de l'équipe nationale colombienne, Andrès Escobar, a fait les frais à la fois de la passion des Colombiens pour le football et des paris sur ce sport ; un narcotrafiquant perdit alors beaucoup d'argent avec le match Colombie-États-Unis, dont on pensait qu'il serait facilement gagné par la Colombie. Il fut en fait perdu par cette équipe. Le pauvre Andrès Escobar, qui avait marqué contre son camp le premier but américain et entraîné la défaite de son équipe, fut, dès son retour à Bogota, assassiné sur l'ordre du parieur mécontent !

Nous ne connaissons pas actuellement, ou, en tout cas pas encore, de faits semblables en France, même s'il est fait état de menaces contre des joueurs ou leurs familles visant à influer sur les résultats. Sur un autre plan, le curieux commerce des joueurs de football (et qui sait de rugby ?) est un secteur éminemment propice au blanchiment d'argent. Ce n'est assurément pas le curriculum vitae de certains des agents de joueurs (ou assimilés) qui est susceptible d'infirmer ce point de vue !

Les faits sont apparus d'abord en Italie surtout, mais vous avez sans doute observé les mouvements commerciaux au sein de certains clubs français, en particulier du PSG (ou règne une forte odeur de gaz et pétrole), mais surtout désormais de l'AS. Monaco (club sans public mais à fiscalité spéciale, où le parfum est plutôt celui de la mafia russe, qui a désormais traversé la Manche et préfère, semble-t-il, le climat de notre Côte d'Azur à celui de Manchester). Il est évident que le "mercato" des joueurs, qui échappe à tout contrôle, puisque la plupart des transactions s'opèrent, en fait, offshore et dans des montages extrêmement compliqués, est une occasion non seulement respectable (du moins en apparence), mais totalement occulte et insondable de blanchir des sommes énormes dont l'origine n'est généralement pas connue et de toute façon inavouable.

Je vous renvoie sur ce point aux œuvres de Monsieur Noël Pons qui a exposé tout cela dans son détail. Je me contente ici de persister à m'étonner que l'État français laisse s'opérer de telles manipulations et, pire encore, les encourage, directement et indirectement, à travers les officines de paris sportifs, dont on sait que la majorité de la clientèle est pour l'essentiel misérable et souvent surendettée.La publicité éhontée des officines de crédit- derrière lesquelles se cachent, les banques, est tout aussi scandaleuse !

Une telle dérive s'inscrit d'ailleurs dans la schizophrénie publicitaire française : la "réclame", lorsque on vous vante et qu'on vous vend un produit nocif à quelque degré et sous quelque forme que ce soit, fait toujours suivre cette publicité racoleuse d'une réserve légale qui est le comble de l'hypocrisie juridico-mercantile. On vous y invite, en effet, à vous méfier ou même à ne pas consommer (sinon peut-être "avec modération", notion éminemment relative et variable) le produit qu'on vient de vous pousser à acheter ! Va comprendre Charles !

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