On peut s’interroger, comme je l’ai fait, sur le choix du 10 mai pour la commémoration de l’abolition de l’esclavage qu’on confond, généralement et allègrement, avec l’interdiction de la traite négrière. Dans le choix que Jacques Chirac a fait du 10 mai, le but caché était moins de commémorer le 10 mai 2001, jour du vote de la loi Taubira-Delannon, que de faire une niche posthume à F. Mitterrand en occultant définitivement l’espérait-on, le mai 1981, jour de sa première élection Objectif atteint, Salut l’artiste ! C’est sans doute la seule raison sérieuse de ne pas avoir fait le choix, aussi évident que logique, de la date de commémoration du décret Schoelcher (27 avril 1848). Toutefois, cette habileté politicienne avait alors déclenché des vaguelettes imprévues dans le marigot domien.
Un brin d’histoire et d’anthropologie ultramarines sont ici nécessaires.
Habitués que nous sommes à l’immédiateté de l’information mondiale, nous ne pensons plus qu’au XIXe siècle encore, les nouvelles de Paris mettaient bien du temps pour parvenir dans les colonies. De ce fait, la nouvelle du décret Schoelcher (avril 1848) n’est parvenue que quelques semaines plus tard, aux Antilles et plus tard encore à la Réunion. Cette île étant la plus lointaine, l’abolition n’y a été proclamée que le 20 décembre 1848 par Sarda-Garriga, qui était arrivé dans l’île le 13 octobre. De ce fait, tous les ultramarins célèbrent la mémoire de l’événement à des dates différentes. Chaque D.O.M. aurait donc naturellement souhaité que sa propre date soit retenue pour l’ensemble des anciennes colonies. Impossible à envisager de ce fait même.
Les D.O.M. ne pouvant donc être que divisés sur le choix d’une date de commemoration, restaient les Domiens de France qui, même si on ne le savait pas, l’étaient tout autant, non cette fois du fait de leurs origines géographiques et de leur histoire, mais en raison de leurs regroupements politico-idéologiques. Comme pour l’Islam de France, on avait tenté le coup de créer une grande association nationale, le « Conseil National des Associations Noires », le C.R.A.N. qu’on avait réuni, en grande pompe, à l’Assemblée Nationale (tout un symbole !) le 26 novembre 2005.
Le but était de couper l’herbe sous le pied à des dizaines de regroupements ethniques incontrôlés, souvent assez anodins, comme le « Collectif DOM », mais parfois potentiellement dangereux comme la « Tribu Ka » (fondée en décembre 2004, pour succéder au Parti Kémite de Kemi Seba et qui s’est illustrée surtout par son antisémitisme). Le C.R.A.N. s’est donné alors comme président un non-Antillais, toujours en place, (P. Lozès, pharmacien initialement U.M.P, né au Bénin, où son père fut ministre et qui s’affirme désormais comme candidat à la présidentielle de 2012), mais les Antillo-Guyanais y eurent, logiquement, une place de choix (L.G. Tin, Martiniquais, S. Pocrain, Guadeloupéen, et... C. Taubira, Guyanaise). Le panachage politique visé, en camaïeu, avec Lozès (U.P.M.), Pocrain (Verts) et Taubira-Delannon (P.S./DG).
Le C.R.A.N. visait à ratisser large, mais c’est aussi ce qui faisait problème. Le Collectif DOM toujours présent réunissait, sous la présidence de P. Karam, présent sur tous les fronts et grand amoureux de la procédure, des personnalités actives et remuantes comme C. Ribbe et S. Bilé.
Le premier voulait surtout promouvoir ses livres ; cet auteur, mi-guadeloupéen, mi-creusois, normalien et agrégé de philosophie, nourrissant, comme Mazarine, de plus nobles ambitions que celles d’enseigner ; on le vit donc se jucher sur Alexandre Dumas ( Alexandre Dumas, le dragon de la reine ) pour tirer sur Napoléon ( Le crime de Napoléon ).
Le second, S. Bilé, journaliste (en Martinique un moment) et écrivain ivoirien, ne manque pas d’éclectisme, puisque, après un livre aguichant, La légende du sexe surdimensionné des Noirs (l’auteur est fort heureusement noir lui-même ce qui le met à l’abri des poursuites !) , il a publié, sans plus de succès, Noirs dans les camps nazis.
Le Collectif DOM a toujours montré plus de virulence que le C.R.A.N. que C. Ribbe, dans une envolée gaullienne, a qualifié un jour de « quarteron de petits arrivistes d’origine africaine » (Ne serait-ce pas un peu raciste ?) ; le Collectif DOM a surtout multiplié les attaques aussi bien contre ce qu’il regarde comme sa droite (contre Max Gallo d’abord, puis contre O. Pétré-Grenouilleau, historiens estimés) ; l’un et l’autre furent taxés de révisionnisme, avec, dans le second cas, des procédures judiciaire et administrative rapidement abandonnées devant le tollé unanime des historiens français. Le Collectif DOM s’opposait aussi, sur sa gauche, à ce qu’on pourrait regarder comme les formes extrêmes de ses positions « noiristes » (la « Tribu Ka », dont le « chef » Kemi Seba fut traîné devant les tribunaux par P. Karam).
Bref, ce ne sont là que rivalités dérisoires et ambitions minuscules, la grande question est autre et j’ose la poser ici. Où et quand faut il cébébrer l’abolition de l’eclavage ? L’histoire a certes tranché en faveur du Luxembourg et du 10 mai, toutefois on peut douter de la légitimité de tels choix et on devrait au moins s’interroger sur eux.
Aurait-il fallu célébrer l’abolition de l’esclavage à la Bastille, le 10 mai (la date officielle choisie par J. Chirac et entérinée par le C.R.A.N, ce « quarteron de ... (cf. supra) ») ou à la Nation, le 23 mai (en souvenir de la première manifestation du 23 mai 1998 qui, sans être exclusivement domiene ou désormais ultramarin, l’était quand même de façon massive) ?
10 ou 23 mai ? Bastille ou Nation ? Il y a là un dilemme insupportable dont il faut bien sortir. Puis-je, sans être Antillais ou « d’origine africaine », risquer une suggestion de commencement de début de compromis, tout en sachant bien les risques immenses que je prends?
Je propose donc de célébrer l’abolition de l’esclavage à la station de métro Faidherbe-Chaligny (à égale distance - deux stations - de Bastille et de Nation) le 16 mai à minuit (donc à égale distance du 10 et du 26 mai).
Salomon lui-même ne ferait pas mieux !
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1 commentaire:
Cher Usbek,
vous avez effectivement raison. Commémorer un tel événement sur un lieu portant le nom d'un des gouverneurs du Sénégal, outre les équidistances mentionnées, me semble tout à fait approprié.
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