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vendredi 3 août 2012

Le dernier état du français. : les scies

Près de la moitié de mes lecteurs réguliers se trouvant hors de France (Russie, Allemagne, Amérique du Nord) et étant, de toute évidence francophones, j'ai le sentiment que je me dois de les tenir informés du dernier état des évolutions de notre langue française, au moins dans le langage des médias. Ceux-ci, en effet, ne se contentent pas des attentats qu'ile ne cessent de commettre contre la syntaxe mais cèdent à des modes que l'ampleur de leur diffusion et la fréquence de leur apparition rend quelque peu insupportables.

J'entendais, ce matin encore, sur je ne sais quelle radio, un obscur sénateur tenir des propos dont la platitude et la motivation (l'une étant égale à l'autre car il y défendait, avant tout et exclusivement le bifteck de ses électeurs et par conséquent le sien) s'agrémentaient, à ses yeux du moins, de l'usage des termes à la mode dans ce genre d'expression politique. Les choses sont assez simples car, outre les protestations obligées de franchise et de désintéressement, tout repose sur l'usage immodéré de trois termes.

Le premier est "citoyen" qui, toutefois, commence désormais à passer de mode. Ce qui fut longtemps, dans notre langue, un honnête substantif dont l'usage est apparu essentiellement à la Révolution. Il est devenu, dans un usage récent un adjectif, du fait, semble-t-il, que ceux qui en usent ainsi ignorent le sens et l'emploi du bel adjectif "civique" qui désigna longtemps, en particulier, l'instruction que l'on était censé donner dans nos écoles primaires. Fort heureusement cet emploi adjectival fautif de "citoyen" régresse, sans qu'il soit pour autant remplacé par un autre terme, ce qui ne fait que témoigner de la désaffection des citoyens français pour le fonctionnement de leur régime politique.

Le deuxième terme est, lui, un véritable adjectif. Il s'agit de "régalien" qui, depuis un an ou deux, a envahi le vocabulaire, au demeurant réduit, de nos politiques. Une telle faveur est un peu étonnante dans un régime républicain (puisque "régalien" est de la même origine - rex/regis - que "royal" désigne, à l'origine et dans son sens propre, des activités et privilèges propres au roi). L'usage de cet adjectif procure toutefois une telle satisfaction verbale à ceux qui en usent qu'on ne voit pas comment on pourrait revenir sur cet usage. En effet, nos hommes politiques sucent cet adjectif "régalien" comme un délicieux bonbon qu'ils consomment en toutes occasions et qu'ils gardent aussi longtemps que possible dans la bouche. C'est pourquoi d'ailleurs, on ne distingue guère ce qui est régalien de ce qu'il n'est pas!

Le troisième terme à la mode n'a pas la noblesse archaïque du précédent mais au contraire un délicieux parfum de modernité. Il a en outre l'avantage de s'employer, en général, sous deux formes, l'une verbale (« impacter »),
l'autre adjectivale par le recours à son participe passé (« impacté »). C'est dire qu'on peut faire de ce dernier terme un usage bien plus grand que celui de "régalien" qui n'offre pas la même ressource verbale. Quelque objet que ce soit qui soit atteint ou concerné par quoi que ce soit n'est plus "atteint", "frappé", "marqué", etc., mais désormais "impacté"!  La curiosité lexicale de la chose est que si le verbe et son participe passé sont objet d'un usage aussi constant qu'horripilant, le substantif "impact" lui-même n'est guère utilisé ; sans doute est-il trop présent en particulier par les marchands de pare-brises dont les publicités incessantes à la télévision ont sans doute fortement altéré l'attractivité lexicale.

Je m'aperçois, au terme de ce blog, que je fais ici une sorte de rubrique inverse de celle qu'il y avait autrefois dans le Reader's Digest et qui s'appelait "Enrichissez votre vocabulaire". Dans la présente démarche, en effet, je vous invite, au contraire, à éviter ces expressions, bien loin de vous conseiller de les employer. Si je voulais rejoindre la démarche d'enrichissement du vocabulaire, je signalerais ici l'emploi d'un joli terme qui dit bien ce qu'il veut dire mais qui n'est plus guère en usage bien qu'il continue à figurer dans les dictionnaires. Il s"agit du terme "scie", au sens de "formule à la mode qui, à force d'être employée et répétée, en devient ennuyeuse voit insupportable. Vous l'aurez évidemment compris, "citoyen", "régalien" et "impacté" sont, pour peu de temps on l'espère, les "scies" actuelles de notre vocabulaire politique.

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