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jeudi 30 août 2012

Le marronnier de la rentrée : la formation des maîtres (1)

 

"Enseigner un métier qui s'apprend"

La formation des maîtres est, avec l'immobilier et le salaire des cadres, l'un des marronniers de notre presse écrite agonisante. Songer que ce pauvre Christophe Barbier, directeur de l'Express, est de obligé de faire LUI-MEME la réclame de son hebdomadaire à la radio. Finira-t-on par le voir, dans les rues, glapir "Demandez l'Express ! Demandez l'Express !". Pauvre France!

Je me vois donc contraint moi aussi, après avoir entendu, ce matin-même, notre nouveau ministre de l'éducation nationale, de revenir sur cette question à propos de laquelle on entend tant de sottises et d'erreurs. 

J’ai écrit, je ne sais plus quand un blog après lecture d'un article paru dans un magazine "professionnel" à l’usage sans doute exclusif des pédagos ; il avait pour titre « Formation des enseignants : mise au point » et était illustré d’une photo qui surmontait cet intitulé. On y voyait une douzaine de personnages vociférant devant une pancarte émanant d’un ou plusieurs IUFM (Institut de formation des maîtres pour les non-initiés, s’il y en a encore), cet acronyme encadrant le slogan suivant, en capitales pour la première ligne « ENSEIGNER, UN METIER QUI S’APPREND » et, pour la seconde, en écriture anglaise malhabile « Pour un service public de la formation ». Je ne sais pas trop si l’on avait voulu reproduire la graphie maladroite d’un élève de CM1 ou l’écriture normale des étudiants actuels de  Master 2, puisque nos enseignants du futur seront recrutés à ce niveau académique. Je penche plutôt vers la seconde hypothèse pour avoir vu, très récemment encore, des copies d’étudiants de lettres modernes de ce niveau.

Premier constat, et non le moindre, sur les douze personnages de la photo, les deux tiers (8) sont des filles, ce qui est un indicateur fort sur l’évolution de la profession, surtout dans le primaire et le secondaire, la vague de féminisation atteignant désormais l’université. Cette évolution a un certain nombre de conséquences importantes, d’ordres divers, dans le détail desquels je ne puis entrer ici.

Seconde remarque. Les IUFM sont, comme les régions ultramarines « monodépartementales », des innovations relativement récentes, 1982 pour les secondes, 1989 pour les premiers. La généralisation des IUFM n’a donc que vingt ans ce qui est fort peu pour une réforme très importante puisqu’elle fut présentée, en son temps, comme révolutionnaire et qu’elle concernait à la fois le primaire et le secondaire. Auparavant, la formation des instituteurs se faisait dans les écoles normales et les professeurs du secondaire, certifiés ou agrégés, n’avaient aucune formation réelle, les « Centres Pédagogiques Régionaux » n’étant qu’une vaste farce sur laquelle je vais revenir).

Cette création des IUFM s’est inscrite dans l’apparition progressive dans notre pays des « sciences de l’éducation » qui nous sont venues d’Amérique du Nord. On a d’ailleurs retenu le terme de « licence de sciences de l’éducation », (dénomination québécoise), jugée plus noble que « licence de pédagogie » qui avait pourtant alors les faveurs du ministère. Cette nouvelle filière universitaire instituée, il a bien fallu ouvrir des activités et des emplois pour ces licenciés (et bientôt docteurs !) en sciences de l’éducation.

L’exemple, funestement  prototypique de cette évolution, est Philippe Meirieu. Ancien instituteur, il a, non sans adresse, surfé sur cette vague politico-pédagogique. En 1983, il soutient un doctorat d’Etat sur le sujet suivant « Apprendre à apprendre » sur lequel il est toutefois inexplicablement discret, peut-être parce qu’il en déclinera inlassablement, dans la suite, le titre : « Apprendre à apprendre », « Apprendre à apprendre à apprendre», « Apprendre à apprendre à apprendre…etc. ». Il est l’un des artisans de la loi d’orientation de L. Jospin qui, en 1989, crée les IUFM, et il devient, une dizaine d’années durant, le gourou de la rue de Grenelle. Il a fini sa carrière comme directeur de l’IUFM de Lyon, avant de se replier sur l’université de Lyon 2 pour jeter enfin le masque de la pédagogie afin d’entrer ouvertement en politique sous l’étiquette Europe-Ecologie, en 2009. Je ne puis développer cet aspect ici, mais dès demain, car son action est essentielle, j'évoquerai Ph. Meirieu dont le rôle a été aussi funeste que déterminant.

Revenons à notre propos. Dans ce contexte, à la fin des années 80, la pédagogie, même si on lui a préféré « sciences de l’éducation », devient le maître-mot des filières universitaires ainsi dénommées comme les IUFM eux-mêmes qui en sont la résultante. On avait là enfin l’application du bon vieux principe « Ce qu’on sait faire on le fait, ce qu’on ne sait pas faire, on l’enseigne ! »

Pour éclairer ce point, sans raconter ma vie (vous m’accorderez que je ne donne guère dans ce travers, pourtant assez courant dans certains blogs), je voudrais illustrer cette question de la fameuse formation des maîtres par mon cas personnel. J’ai autrefois passé successivement les deux concours de recrutement d’enseignants ouverts dans mon domaine, le CAPES d’abord, l’agrégation ensuite.

Le CAPES comportait alors une épreuve dite « théorique », écrite d'abord, orale ensuite pour les admissibles (le tout après la licence donc à bac + 3 mais en fait à bac + 4 car il fallait une année pour préparer ce concours). Si l’on y était admis, ce CAPES théorique faisait de vous un « professeur certifié stagiaire », rémunéré et affecté à ce titre à un Centre Pédagogique Régional (CPR), institution parfaitement mythique comme on va le voir.

La prétendue « formation » ne comportait, en effet, aucun enseignement et consistait exclusivement en des heures de stage dans deux établissements. Il s’agissait d’assister, chaque semaine, à quelques heures d’enseignement (six si je me souviens bien) d’un « maître de stage », qui se bornait à faire, devant deux ou trois stagiaires planqués au fond de sa classe, son cours normal. Le drôle de la chose, dans mon cas, est que le premier semestre de mon stage s’est déroulé dans un lycée de garçons qui était, par hasard, celui-là même où j’avais fait mes classes secondaires ; j’y avais donc déjà fait, comme élève, sept années de stage à temps plein ; je n’avais donc plus grand chose à apprendre sur les pratiques pédagogiques de mes anciens maîtres!

En fin d’année de CPR, on faisait une heure de classe devant un inspecteur général, la chose étant censée être l’épreuve « pratique » du CAPES. Une fois définitivement reçu (je n’ai jamais vu quiconque échouer à cette épreuve pratique), on était nommé dans un établissement et vogue, pour quarante ans, la galère pédagogique !

Les choses étaient encore pires, si l’on peut dire pour l’agrégation, où elles prenaient vraiment l’allure d’une farce. En d’autres termes, à cette époque, pour le secondaire, s’il y avait, pour les deux concours de recrutement, des épreuves théoriques difficiles (par exemple pour l’agrégation, moins de 10% des candidats étaient reçus pour un concours à bac + 5 (au moins) : licence en trois ans + diplôme d’études supérieures (DES qui deviendra ensuite la maîtrise) et en outre, en général, une voire deux années de préparation spécifique fort sérieuse du concours. La formation professionnelle, une fois les concours passés, était rigoureusement NULLE.

Pour en finir avec mon cas, je ne veux en retenir que trois conclusions.

1 . Pour ce qui me concerne du moins, les heures de stage ne m’ont rigoureusement rien appris. Cette année de stage fut pour moi une année de vacances payées qui m’ont permis de préparer le DES que je n’avais pas encore et qu’il me fallait posséder pour me présenter à l’agrégation. Mes « maîtres de stage », excellents enseignants eux-mêmes, ne m’ont en rien conseillé, puisque ces stages consistaient pour eux à faire devant des stagiaires leurs cours habituels et qu’ils ne nous ont vu enseigner, au mieux, qu’une heure ou deux.

2. Ma seule formation pédagogique est celle que j’ai reçue (et qu’ils ne cherchaient nullement à me donner) de deux de mes maîtres, Pierre Savinel et Jean Pouilloux, dont je garde toujours le souvenir, aussi vivace et présent, tant d’années après, le premier professeur de première au lycée, le second  professeur d’université.

3. A mes yeux, l’enseignement, comme la médecine, est d’abord un art, mais, dans les deux cas, il est indispensable, pour les exercer, de maîtriser, aussi complètement que possible, les savoirs qu’implique et met en œuvre l’exercice de ces arts.

Les professeurs de l’époque, « non formés  », étaient-ils moins bons que ceux des vingt dernières années qui ont tâté des IUFM (avant qu'on les supprime) et de la 
« pédagogie/sciences de l’éducation »? Je n’en suis pas certain (litote pour dire que je suis à peu près sûr du contraire !).

Je suis déjà long et je n’ai présenté ici que les premiers éléments de mon point de vue. Je reviendrai demain sur le sujet à partir du cas Meirieu qui est exemplaire.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Dans la même veine, j'ai beaucoup aimé:
Boillot (Hervé) et Le Du (Michel). — La pédagogie du vide. Critique du discours pédagogique contemporain.PUF, 1993.
Ayant suivi l'équivalent d'une année de cours de pédagogie (cours donnés le soir ou le week-end à l'université Laval de Québec), je confirme que «ce que l'on ne sait pas, on l'enseigne».

succus

Okigoshi a dit…

Le seul intérêt pour le stagiaire c'est, le jour où il remplace son maître de stage devant les élèves, de pouvoir captiver son auditoire plus que ne l'a fait leur professeur en titre.
Ce qu'il aurait appris serait donc essentiellement ce qu 'il ne fallait pas faire.
Mais peut-être le savait-il déjà s'il avait la passion d'enseigner avant d'en avoir la science qui s'apprend peu à peu et "sur le tas"

Okigoshi a dit…

Le seul intérêt pour le stagiaire c'est, le jour où il remplace son maître de stage devant les élèves, de pouvoir captiver son auditoire plus que ne l'a fait leur professeur en titre.
Ce qu'il aurait appris serait donc essentiellement ce qu 'il ne fallait pas faire.
Mais peut-être le savait-il déjà s'il avait la passion d'enseigner avant d'en avoir la science qui s'apprend peu à peu et "sur le tas"

Anonyme a dit…

he ben voilà et en double en plus! Usbek