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samedi 29 septembre 2012

Honni soit qui Mali pense (3) : Bouteflika ou El Mali ?

Comme je l'avais annoncé hier, je pensais en finir aujourd'hui avec l'affaire du Mali, en traitant de ses rapports avec l'Algérie. Comme ce point est bien plus complexe que les deux précédents, je serais amené à lui consacrer deux livraisons. On est en présence d'une extrême difficulté à traiter ces questions, surtout pour un ignorant comme moi, car, selon que l'on consulte des sources françaises, algériennes, maliennes ou … azawad, on obtient des points de vue extrêmement différents quant aux faits matériels eux-mêmes.

Je suis d'autant plus contraint d'être plus long que prévu que je dois régler, en introduction, deux questions mineures dont l'une tient au titre même du présent poste.

La première est celle de l'expression "fides punica" utilisée dans le premier de mes posts sur le Mali. Je disais, me semble-t-il, mais je n'ai pas le courage d'aller vérifier, que la "fides punica" avait franchi la frontière, sans préciser ni le sens de cette cuistrerie ni la frontière en cause. Il s'agit, bien entendu, de la frontière entre la Tunisie et l'Algérie puisque, selon les Romains,  cette "fides punica",  la (mauvaise) fois punique, caractérisait les Carthaginois dont les Tunisiens seraient les héritiers. Je ne sais pas vraiment si la "fides" des Romains était bien plus grande que celle de leurs adversaires carthaginois, mais il s'agissait, en tout cas, dans la tradition, d'une traitrise phénicienne dont l'idée est fort ancienne.

La seconde remarque liminaire concerne le présent titre "Bouteflika ou El Mali" qui nous rapproche du sujet. J'y reviendrai dans la suite mais je veux souligner ici et par là que les relations entre le Nord du Mali et l'Algérie sont naturellement anciennes puisque l'actuel président de l'Algérie, Abdelaziz Bouteflika, a passé dans le Nord du Mali une partie de la guerre d'Algérie ; il s'efforçait d'y trouver une aide pour les Algériens en lutte et il y était alors connu sous le nom d' Abdelkader El Mali. Ces événements remontent à un demi-siècle, mais ils ne sont peut-être pas à négliger totalement.

La nécessité d'être un peu long, sur ce point, tient à l'obligation de quelques rappels démographiques ou historiques. Les Tamasheq du Nord-Mali sont en rébellion depuis l'indépendance ; contentons-nous ici de rappeller une formule célèbre, énoncée en 1963 : « Les Français sont partis, les Arabes sont arrivés ». A intervalles réguliers (en 1990, en 1994 et enfin en 2006), les tensions ou même les hostilités ont repris, suivies par des accords, souvent favorisés par l'Algérie, mais qui n'ont été que très peu respectés par Bamako. On retrouve là le vieux problème des frontières héritées de la colonisation ; la division coloniale du territoire des Touaregs entre l'Algérie, le Mali et le Niger a engendré des problèmes qu'a réglés, en principe du moins, la règle posée par l'Union africaine qui regarde comme intangibles les frontières issues de la décolonisation, pour éviter les multiples sources de conflits territoriaux que connaissent la plupart des Etats d'Afrique.

L'importance démographique exacte de la communauté touareg, dont sont membres les Tamasheq du Nord-Mali est difficile à évaluer ; on l'estime, très vaguement, entre 1,5 et 3 millions dans l'ensemble, mais elle pourrait être beaucoup plus nombreuses (jusqu'à 3 millions en Algérie et 1,5  au Mali).

Il est clair que, pendant longtemps, l'Algérie a été résolument hostile à l'idée d'un Azawad indépendant à ses portes Sud car cela risquerait d'encourager, chez elle, les pensées d'autonomie des Kabyles. Ce fut le cas, tant en 1963, où elle a livré des leaders de cette rébellion à Bamako que, vers 1980, où elle tenta d'introduire des dimensions au sein des groupes de combattants Tamasheq ou, plus tard, en favorisant la conclusion d'accords entre le Nord et le Sud du Mali.

Il y a toutefois une contradiction majeure et fort gênante dans la politique algérienne qui a accepté la partition de l'Éthiopie en 1993, celle du Soudan en 2011 et surtout qui continue à proclamer, au grand dam de son voisin marocain, « le droit à  l'autodétermination du peuple sahraoui ». Pourquoi, avec de tels choix et une telle position, s'oppose-t-elle à celle du peuple Tamasheq  ?

Ce n'est pas là le moindre problème de la diplomatie algérienne. On retrouve ces contradictions dans l'évolution récente du point de vue d'Alger qui est un peu un Janus à deux faces. Au printemps 2012, alors que la France sarkozienne est contre une opération militaire d'Alger et hostile à l'indépendance de l'Azawad, l'Algérie rejoint, de fait, la position française.

Il n'est pas sûr que la position d'Alger soit aujourd'hui toujours la même, du moins si l'on se fonde moins sur les déclarations officielles que sur les comportements effectifs. Il est clair que l'Algérie doit prendre en compte aussi sa propre politique intérieure à l'égard de l'Islam radical et qu'au Nord-Mali ses faveurs vont plutôt vers les Tamasheq  progressistes regroupés dans le MNLA, qui ne sont pas favorables à une république islamique mais à la création d'un État laïque, en dépit de leurs relations d'opportunité avec l'AQMI et avec Ansar Eddine ("les défenseurs de la religion" en arabe »).

Il serait fort intéressant, en la circonstance, de savoir ce qui se passe effectivement à la frontière entre l'Algérie et le Mali, mais il faut reconnaître qu'il est bien difficile d'aller sur le terrain pour y faire quelques observations que ce soit.

Le MNLA dispose d'armes lourdes rapportées de Libye, mais aussi d'un arsenal qu'il peut acheter en prélevant sa dîme (ou davantage) sur les commerces frontaliers avec l'Algérie et la Libye en direction de l'Europe (il s'agit en particulier de la drogue). Toutefois, certains témoins, bien sûr anonymes, ont observé des convois de véhicules type 4x4 lourdement armés qui transitaient en Algérie en direction de Gao, sans qu'on sache trop à qui étaient destinés ces matériels adaptés au désert qui peuvent, de toute façon, avoir très vite changé de mains, vu la faible résistance que les troupes maliennes officielles ont opposée aux insurgés.

Les transits entre l'Algérie et le Mali peuvent aussi tout à fait changer de sens. Ainsi les camions, qui ramenaient au Mali des émigrants clandestins capturés en Algérie et refoulés, ont inversé récemment leur parcours pour amener en Algérie des réfugiés fuyant les combats. Il pourrait toutefois y en avoir toujours d'autres qui vont en direction du Sud et qui pourraient y apporter le combustible abondant que rend indispensable l'utilisation massive des véhicules militaires.

C'est un problème sur lequel Antoine Glaser s'était interrogé, sans toutefois suggérer de solutions, mais le sourire ambigu qu'il arborait alors en disait long.

On voit combien les choses sont complexes ; nous y reviendrons donc demain.

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