L'ai-je déjà dit
(si c'est le cas, je le répète ; si ça ne l'est pas, je l'avoue) « Je ne suis
en rien un spécialiste du Mali".
Je n'ai d'ailleurs
pas trop de honte à l'avouer lorsque j'entends ou je lis (plus rarement dans ce
second cas car l'écrit oblige, en général, à plus de prudence ou à moins
d'impudence) les sottises qu'on profère sur ce malheureux pays.
Ainsi faisais-je
remarquer, dans un précédent post, que je n'avais pratiquement jamais entendu
le mot "Tamasheq" qui est pourtant la véritable dénomination locale des
populations regardées comme autochtones au Nord Mali. Mieux encore hier encore
j'ai entendu un "spécialiste" de cette zone évoquer, parmi les
principales langues de cet Etat, le "songoy", alors qu'en dépit de l'orthographe
du français, le moindre séjour au Mali apprend que le nom de cette langue et de
cette ethnie sans parler de l'empire historique) qui s'écrit "songhaï" se prononce à peu près "sonraille"
!
Je le répète
donc ; "Je ne suis en rien un spécialiste du Mali" mais j'y suis allé
assez souvent depuis une vingtaine d'années et je me suis intéressé à la
situation de cet Etat. J'en ai souvent parlé avec des amis, maliens ou français
; l'un de mes vieux amis est d'ailleurs Gérard Dumestre, naguère encore professeur
de bambara à l'INALCO et, de l'avis unanime, le meilleur spécialiste de cette
langue dont il a fait un monumental dictionnaire (bambara-français) paru en
2011 chez Karthala. J'aimerais d'ailleurs bien que G. Dumestre, qui réside au
Mali une partie de l'année, s'exprime dans mon blog qui lui est largement
ouvert, mais je le crois plus occupé que quand il enseignait encore !
Bref retour sur
le titre un peu étrange de cette série de blogs qui m'a été inspiré au départ, moins
par la devise de l'Ordre de la Jarretière que par les réserves qui me
paraissaient indispensables lorsque la France, à peine sortie du guêpier ivoirien, (en attendant le tchadien!)
s'est vue pressée d'intervenir dans le conflit entre le Nord et le Sud du Mali.
Le sens de cette formule était évidemment
si on la développe : « Honte à celui qui songe au Mali c'est-à-dire qui pense
que la France doit intervenir au Mali ». Je l'avais éclairé un peu en disant que,
quelle que soit l'issue de ce conflit dont la solution, on le verra dans la
suite, n'est pas simple, tout ce qu'il pourrait y avoir de mauvais sera
assurément porté au compte de l'ancienne puissance colonisatrice car, en dépit
de l'hystérie francophile qui a marqué la visite de François Hollande à
Ouagadougou et Bamako, les sentiments populaires sont des plus versatiles et i'anticolonialisme
est bien loin d'avoir totalement disparu.
Le Mali comme
beaucoup d'Etats africains (et un simple coup d'œil à la carte de l'Afrique le
démontre assez) repose sur des découpages coloniaux, souvent arbitraires et
parfois absurdes, qui ont conduit à réunir des populations qui n'avaient rien en
commun et à séparer, au contraire, des populations relativement homogènes.
Le sablier
géographique malien sépare donc deux zones qui, sans être elles-mêmes être homogènes,
le sont tout de même dans une certaine mesure ; ce n'est pas un hasard
d'ailleurs si la zone d'étranglement du sablier a marqué, durant l'année qui
vient de s'écouler, la frontière non institutionnelle entre le Nord et le Sud.
Depuis l'indépendance du Mali, la population tamasheq du Nord avait toujours
marqué, sous des formes et avec des intensités diverses, ce désir
d'indépendance ou en tout cas d'autonomie. Les années 90 furent particulièrement
violentes avec toutes sortes d'exactions et de massacres de part et d'autre,
cette situation conduisant à un "Pacte national" signé à Bamako le 11
avril 1992. Quoiqu'il consacre certaines évolutions vers des formes partielles
d'autonomie pour les Tamasheq, les problèmes sont très loins d'être réglés.
On comprend tout
à fait que les enjeux géopolitiques (sans même parler des questions économiques
et stratégiques) soient d'importance car à Addis-Abeba, après les Indépendances,
on avait pris une résolution extrêmement sage qui était de rendre intangibles
les frontières des Etats nés de la décolonisation ; il était, en effet, tout à
fait évident que ne pas se ranger à cette sage décision, si paradoxale qu'elle
soit, conduisait immédiatement à mettre l'Afrique à feu et à sang.
Le Mali, sans
être en mesure de régler un problème qu'il avait été dans l'incapacité de
traiter durant le précédent demi-siècle et qui, loin de là,
devenait de plus en plus violent, ne pouvait donc évidemment que solliciter
l'appui de la France dans cette affaire, même s'il n'était pas sûr que l'intérêt
de la France fut d'y intervenir. Je laisse de côté pour le moment les intérêts
stratégiques ou économiques qui sont évidemment un élément important du
problème même si on s'abstient en général d'en parler. Il est évident, en
effet, que la France ne peut se désinteresser de la zone nigéro-ùalienne alors
que le Niger est le principal sinon l'unique pourvoyeur d'un uranium
indispensable à la fois à sa propre industrie nucléaire et à celles qu'elle
développe dans des pays étrangers qui lui achètent des centrales et à qui elle
garantit, avec assez d'imprudence, la livraison du combustible indispensable.
Il est, par ailleurs, évident aussi la France n'est pas seule en cause et qu'il
est peu probable que les immenses gisements de gaz et de pétrole du Sahara
qu'exploite l'Algérie s'arrêtent pile à la frontière algéro-malienne A ce
propos, les étranges frontières des Etats témoignent souvent des intentions
cachées dans leurs tracés ; un bel exemple est constitué par l'Algérie dont
l'énorme ventre désertique et pétrolier avait été bien entendu enflé par la France pour
s'approprier les ressources de l'Algérie à une époque où on croyait encore que
ce pays resterait la France !
Les populations du
Nord Mali sont donc ethniquement, linguistiquement et culturellement
différentes de celles du Sud sous la tutelle de laquelle elles ont été mises
alors qu'elles les ont souvent dominées et exploitées dans le passé. Un aspect
pourtant tout à fait évident et dont on ne parle guère car il est politiquement
incorrect est que les Tamasheq sont issus de populations qui n'étaient sans
doute pas les premiers occupants de cette zone, mais qui étaient là, en tout cas,
bien avant les Arabes. En outre ces Tamasheq, que nous appelons Touarèg
(les deux mots ont d'ailleurs une vague analogie) ont une langue qui
s'apparente au groupe de langues dites "amazigh" (le mot est aussi proche
de tamasheq ) qui sont d'origine chamito-sémitique (comme le berbère) et qui
n'ont donc rien à voir avec les langues "africaines" du centre et du Sud
du Mali.
Les populations
elles-mêmes sont également différentes ; pour dire les choses de façon simple
et un peu caricaturale vu les mélanges de populations depuis des siècles, les Tamasheq
sont," en gros", des blancs (comme les Arabes), alors que les
populations majoritaires du Mali sont des "mélanodermes" c'est-à-dire
des noirs. Ce point, on le devine, n'est pas sans importance !
Pour finir sur
une vieille blague qu'on raconte dans ces régions. Après l'indépendance de l'Algérie,
à la frontière algéro-malienne, une patrouille militaire malienne rencontre une
patrouille algérienne ; ils échangent quelques propos (en français sans doute
grâce à la Francophonie qui n'est donc pas si inutile que certains le disent) ,
les Maliens de s'étonner en leur demandant depuis quand ils sont indépendants.
Les Algériens de répondre : "Depuis 1972". Étonnement des Maliens : «
Et vous êtes déjà si blancs ! ».
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