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lundi 4 février 2013

Honni soit qui Mali pense N° 2


L'ai-je déjà dit (si c'est le cas, je le répète ; si ça ne l'est pas, je l'avoue) « Je ne suis en rien un spécialiste du Mali".

Je n'ai d'ailleurs pas trop de honte à l'avouer lorsque j'entends ou je lis (plus rarement dans ce second cas car l'écrit oblige, en général, à plus de prudence ou à moins d'impudence) les sottises qu'on profère sur ce malheureux pays.

Ainsi faisais-je remarquer, dans un précédent post, que je n'avais pratiquement jamais entendu le mot "Tamasheq" qui est pourtant la véritable dénomination locale des populations regardées comme autochtones au Nord Mali. Mieux encore hier encore j'ai entendu un "spécialiste" de cette zone évoquer, parmi les principales langues de cet Etat, le "songoy", alors qu'en dépit de l'orthographe du français, le moindre séjour au Mali apprend que le nom de cette langue et de cette ethnie sans parler de l'empire historique)  qui s'écrit "songhaï" se prononce à peu près "sonraille" !

Je le répète donc ; "Je ne suis en rien un spécialiste du Mali" mais j'y suis allé assez souvent depuis une vingtaine d'années et je me suis intéressé à la situation de cet Etat. J'en ai souvent parlé avec des amis, maliens ou français ; l'un de mes vieux amis est d'ailleurs Gérard Dumestre, naguère encore professeur de bambara à l'INALCO et, de l'avis unanime, le meilleur spécialiste de cette langue dont il a fait un monumental dictionnaire (bambara-français) paru en 2011 chez Karthala. J'aimerais d'ailleurs bien que G. Dumestre, qui réside au Mali une partie de l'année, s'exprime dans mon blog qui lui est largement ouvert, mais je le crois plus occupé que quand il enseignait encore !

Bref retour sur le titre un peu étrange de cette série de blogs qui m'a été inspiré au départ, moins par la devise de l'Ordre de la Jarretière que par les réserves qui me paraissaient indispensables lorsque la France, à peine sortie du guêpier ivoirien, (en attendant le tchadien!) s'est vue pressée d'intervenir dans le conflit entre le Nord et le Sud du Mali. Le sens de  cette formule était évidemment si on la développe : « Honte à celui qui songe au Mali c'est-à-dire qui pense que la France doit intervenir au Mali ». Je l'avais éclairé un peu en disant que, quelle que soit l'issue de ce conflit dont la solution, on le verra dans la suite, n'est pas simple, tout ce qu'il pourrait y avoir de mauvais sera assurément porté au compte de l'ancienne puissance colonisatrice car, en dépit de l'hystérie francophile qui a marqué la visite de François Hollande à Ouagadougou et Bamako, les sentiments populaires sont des plus versatiles et i'anticolonialisme est bien loin d'avoir totalement disparu.

Le Mali comme beaucoup d'Etats africains (et un simple coup d'œil à la carte de l'Afrique le démontre assez) repose sur des découpages coloniaux, souvent arbitraires et parfois absurdes, qui ont conduit à réunir des populations qui n'avaient rien en commun et à séparer, au contraire, des populations relativement homogènes.

Le sablier géographique malien sépare donc deux zones qui, sans être elles-mêmes être homogènes, le sont tout de même dans une certaine mesure ; ce n'est pas un hasard d'ailleurs si la zone d'étranglement du sablier a marqué, durant l'année qui vient de s'écouler, la frontière non institutionnelle entre le Nord et le Sud. Depuis l'indépendance du Mali, la population tamasheq du Nord avait toujours marqué, sous des formes et avec des intensités diverses, ce désir d'indépendance ou en tout cas d'autonomie. Les années 90 furent particulièrement violentes avec toutes sortes d'exactions et de massacres de part et d'autre, cette situation conduisant à un "Pacte national" signé à Bamako le 11 avril 1992. Quoiqu'il consacre certaines évolutions vers des formes partielles d'autonomie pour les Tamasheq, les problèmes sont très loins d'être réglés.

On comprend tout à fait que les enjeux géopolitiques (sans même parler des questions économiques et stratégiques) soient d'importance car à Addis-Abeba, après les Indépendances, on avait pris une résolution extrêmement sage qui était de rendre intangibles les frontières des Etats nés de la décolonisation ; il était, en effet, tout à fait évident que ne pas se ranger à cette sage décision, si paradoxale qu'elle soit, conduisait immédiatement à mettre l'Afrique à feu et à sang.

Le Mali, sans être en mesure de régler un problème qu'il avait été dans l'incapacité de traiter durant le précédent demi-siècle et qui, loin de là, devenait de plus en plus violent, ne pouvait donc évidemment que solliciter l'appui de la France dans cette affaire, même s'il n'était pas sûr que l'intérêt de la France fut d'y intervenir. Je laisse de côté pour le moment les intérêts stratégiques ou économiques qui sont évidemment un élément important du problème même si on s'abstient en général d'en parler. Il est évident, en effet, que la France ne peut se désinteresser de la zone nigéro-ùalienne alors que le Niger est le principal sinon l'unique pourvoyeur d'un uranium indispensable à la fois à sa propre industrie nucléaire et à celles qu'elle développe dans des pays étrangers qui lui achètent des centrales et à qui elle garantit, avec assez d'imprudence, la livraison du combustible indispensable. Il est, par ailleurs, évident aussi la France n'est pas seule en cause et qu'il est peu probable que les immenses gisements de gaz et de pétrole du Sahara qu'exploite l'Algérie s'arrêtent pile à la frontière algéro-malienne A ce propos, les étranges frontières des Etats témoignent souvent des intentions cachées dans leurs tracés ; un bel exemple est constitué par l'Algérie dont l'énorme ventre désertique et pétrolier avait été bien entendu enflé par la France pour s'approprier les ressources de l'Algérie à une époque où on croyait encore que ce pays resterait la France !

Les populations du Nord Mali sont donc ethniquement, linguistiquement et culturellement différentes de celles du Sud sous la tutelle de laquelle elles ont été mises alors qu'elles les ont souvent dominées et exploitées dans le passé. Un aspect pourtant tout à fait évident et dont on ne parle guère car il est politiquement incorrect est que les Tamasheq sont issus de populations qui n'étaient sans doute pas les premiers occupants de cette zone, mais qui étaient là, en tout cas, bien avant les Arabes. En outre ces Tamasheq, que nous appelons Touarèg (les deux mots ont d'ailleurs une vague analogie) ont une langue qui s'apparente au groupe de langues dites "amazigh" (le mot est aussi proche de tamasheq ) qui sont d'origine chamito-sémitique (comme le berbère) et qui n'ont donc rien à voir avec les langues "africaines" du centre et du Sud du Mali.

Les populations elles-mêmes sont également différentes ; pour dire les choses de façon simple et un peu caricaturale vu les mélanges de populations depuis des siècles, les Tamasheq sont," en gros", des blancs (comme les Arabes), alors que les populations majoritaires du Mali sont des "mélanodermes" c'est-à-dire des noirs. Ce point, on le devine, n'est pas sans importance !

Pour finir sur une vieille blague qu'on raconte dans ces régions. Après l'indépendance de l'Algérie, à la frontière algéro-malienne, une patrouille militaire malienne rencontre une patrouille algérienne ; ils échangent quelques propos (en français sans doute grâce à la Francophonie qui n'est donc pas si inutile que certains le disent) , les Maliens de s'étonner en leur demandant depuis quand ils sont indépendants. Les Algériens de répondre : "Depuis 1972". Étonnement des Maliens : « Et vous êtes déjà si blancs ! ».

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