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lundi 18 février 2013

L'école 2013. (N°4) Retour en arrière. Septembre 2007



Désormais, comme on le sait, dans tous les domaines, tout est dans le marketing, peu importe le fonds et les modes de production. Un bel exemple nous en est, actuellement, donné avec un livre L’orthographe, à qui la faute ? (ESF). Sa rédaction n’a pas nécessité moins que le concours de deux maîtres de conférences, Danièle Manesse (issue de Paris V je crois, désormais promue professeur à Paris 3 ) et Danièle Cogis (IUFM de Paris), de deux professeurs des écoles, la piétaille de l’entreprise à peine mentionnée dans certains des avis de publication, et d’un universitaire en retraite André Chervel, chercheur associé au Service d’histoire de l’éducation, auteur d’une préface (D. Manesse, elle, dit « postface » ; je ne suis pas allé voir et où est l’importance ?) et qui avait mené une enquête identique, en 1987, avec Danièle Manesse d’ailleurs.

Indépendamment même de son contenu et de son intérêt, assez minces d’ailleurs, une telle publication me paraît poser trois ordres de problèmes que j’aborderai successivement.

Le premier est celui de la détermination, exclusive désormais, de toutes les politiques éditoriales, en ce qui concerne les savoirs comme le divertissement, par les exigences du marché. Un livre est publié désormais non pour l’intérêt qu’il présente, mais exclusivement pour les profits qu’il semble susceptible d’engendrer dans une conjoncture choisie. On aura noté que je dis ici « savoirs» et non « sciences humaines et sociales », car, en la matière et tout particulièrement en sciences du langage, secteur dont relève l’ouvrage en cause, il n’y a plus en France un seul éditeur spécialisé digne de ce nom.


Ne nous y trompons pas, les Editions sociales, qui publient l’ouvrage de Manesse and co., ne sont plus celles que dirigea autrefois, durant plus de dix ans, Lucien Sève et elles donnent aujourd’hui, entre autres domaines, dans le développement personnel et le « coaching ». Elles n’ont de toute façon rien à voir ni avec Routledge ou Cambridge University Press (E-U et UK), ni même avec J. Benjamins (Hollande). L’édition scientifique française est désormais naine ou morte.

De toute façon, chacun sait que dans l’édition tout est désormais commandé par les commémorations (200 ou 250 livres sur Mozart pour l’année Mozart ; pour les commémorations de l’abolition de la traite ou de l’esclavage (on ne fait pas trop la différence entre les deux !)-plusieurs ouvrages, deux au moins « écrits » par des ignorantes ! La réputation des auteurs , fût-elle acquise dans un tout autre champ, est l'essentiel. Un livre de Zidane sur l’éducation ou l’astrologie ferait sans doute un malheur. Passons…

L’éducation a été au centre des débats, dans l’éphémère de la campagne électorale, par le biais inattendu de la lutte contre la violence grâce à la grammaire ; publions d’importe quoi, mais publions ; on trouvera toujours un créneau à la télé pour la promotion de l’ouvrage.

Le deuxième ordre de problèmes tient à l’ouvrage lui-même et à son probable contenu. Dois-je répéter que je ne l’ai pas lu et que je n’ai aucune intention de le lire et moins encore de l’acheter? J’investirai bien plus volontiers les vingt euros qu’il doit coûter dans une pression et une moules-frites, agrémentées de la lecture du « Canard enchaîné ». Je puis d’autant me passer de cette lecture et en parler de façon relativement autorisée qu’il n’échappe à personne que l’orthographe est de plus en plus mal connue des jeunes et des élèves en particulier. Notre blog en apporte chaque jour de multiples preuves. A quand une thèse sur l’orthographe des blogs du NO ?

Je ne sais pas si vous avez noté, comme moi, qu’une partie non négligeable de la production scientifique en sciences humaines et sociales consiste essentiellement à formaliser des évidences et à présenter en statistiques, tableaux, camemberts, diagrammes, histogrammes, etc. les truismes les plus éculés. Autrefois, il y avait un certain mérite à procéder à de telles mises en forme, aussi longues que fastidieuses. Aujourd’hui, les ordinateurs font tout le travail en un clin d’œil, mais le bon peuple, qui l’ignore, demeure admiratif.

Est-il vraiment indispensable, sauf pour se faire un titre dans un dossier d' habilitation à diriger des recherches, de proposer, en dictée, un texte de Fénelon de 83 mots (celui de l’enquête précédente de 1987) à un échantillon représentatif de 2 767 élèves de 123 classes, du CM2 à la troisième, pour constater la baisse du niveau des élèves en orthographe? L’avantage est qu’en 2026 ou même avant, on pourra renouveler cette prodigieuse expérience scientifique. Le marronnier orthographique est inusable et inépuisable.

Sans vouloir médire, il aurait sans doute été plus intéressant de faire faire une dictée, peut-être un peu plus difficile, à un certain nombre d’élèves-professeurs des IUFM, dont la fonction sera précisément d’enseigner l’orthographe à leurs élèves. On aurait pu avoir quelques surprises, à en juger par les annotations que je lis, de temps à autres, sur des cahiers d’écoliers.

La conclusion majeure de l’ouvrage, si j’en juge par les divers comptes rendus que j’ai lus (ils me paraissent tous mettre en évidence le prévisible peu d’intérêt de ce livre) est que les élèves de cinquième de 2005 font autant de fautes d’orthographe que les élèves de CM2 de 1987. Ceux-ci, eux-mêmes, en faisaient beaucoup plus que ceux qui étaient entrés en sixième avant 1956, car ils n’auraient jamais pu faire la dictée de l’examen d’entrée en sixième, supprimé en 1956.

Il faudrait lire ce livre (ce que je ne ferai pas, je le répète) pour être sûr que les auteurs, d’après les commentaires que j’ai pu lire, ne semblent pas soupçonner que la désaffection de l’immense majorité des élèves à l’égard de la lecture ait pu jouer un rôle dans l’évolution qu’elles étudient. Ce serait un comble, mais rien ne m’étonne vu la suite !

Le troisième problème est à mes yeux le plus grave et le plus important. On a vu que Danièle Cogis est maître de conférences à l’IUFM de Paris ; Danièle Manesse est issue de Paris V si je me souviens bien (où enseigne, notons-le au passage, Alain Bentolila quand il n’est pas dans son bureau de chez Nathan). Le point essentiel pour moi est que s’il faut en croire Luc Cedelle, dans Le Monde (08/02/07) , elle est « une proche de Philippe Meirieu, considéré dans le débat sur l'éducation comme le chef de file des pédagogues ». Nous y voilà !


J’ai naguère consacré à ce personnage une partie d’un blog intitulé « La carte scolaire : fromage ou dessert ? » ; comme le sujet revient sur le tapis électoral, il va falloir que je repasse le plat. Je me borne ici à ce qui concerne directement le présent propos. Revenons sur la scène du crime, comme on dit à la télé. ; IUFM, D. Cogis, D. Manesse, A. Chervel, INRDP (Institut National de Recherche Pédagogique)... Ph. Meirieu.
Eurêka. Tout se met soudain en place. Bon sang, mais c’est bien sûr !

Lionel Jospin comme ministre de l’Education nationale (avec Claude Allègre comme conseiller spécial et ministre de fait), puis Claude Allègre lui-même comme ministre ont fait de Philippe Meirieu, entre 1989 et 2000, le gourou de l’école de France : artisan de la création des IUFM (ce qui montre sa vision de l’avenir, puisqu’il a dirigé dans la suite celui de Lyon où il s'est "récupéré" au terme de sa période de gloire parisienne), père spirituel du « collège unique » quoiqu'apôtre de la pédagogie par « différenciée »,président du Comité d’organisation de la réforme des lycées, puis directeur de l’INRDP (1998-2000), et enfin Directeur de l’IUFM de Lyon (2000-2006), il a admirablement géré sa carrière et déployé une activité constante dans la promotion de ses ouvrages (Tournées VRP de conférences organisées par ses éditeurs, etc.) ou des produits dérivés. Son site comporte même une rubrique inattendue « Films et documents audio-visuels »; on y trouve l’évocation de ses activités sur la chaîne Cap-Canal (chaîne locale sur Lyon et Grenoble que la mairie socialiste de Lyon l’a chargé de développer au terme de son mandat à l’IUFM) et les références de ses séries de films comme la publicité pour ses diaporamas. On ne peut s’empêcher de voir en lui une sorte de télé-évangéliste de l’école, un Billy Graham de la pédagogie.

Dans une logique financière dont les dominantes de son discours pourraient faire croire qu’il la réprouve (mais le portefeuille a ses raisons que la raison ne connaît pas !), Philippe Meirieu a monnayé, de toutes sortes de façons, la position qu’il s’est faite (et/ou qu’on lui a faite) dix années durant dans l’éducation nationale française. C’est son droit et il est loin d’être le seul à le faire, même s’il est sans aucun doute l’un de ceux qui en tirent le plus de profits. On sent d’ailleurs à la remarque liminaire de son« bloc-notes » du 29 août 2006 (« Les livres sur l’école sont, comme chaque année, nombreux à paraître à la rentrée. ») qu’il trouve fâcheux de ne pas avoir l’exclusivité de ce genre de production, lui qui, le mois de septembre revenu, comme un pommier pédagogique, produit un ouvrage, avec parfois même quelques fruits de « contre-saison ».

Ce qui m’agace (on aura déjà perçu dans mon propos un léger agacement) chez Philippe Meirieu, c’est de voir qu’un homme, qui a fait sa carrière et à n’en pas douter sa fortune dans les sphères les plus hautes du pouvoir éducatif, non seulement n’assume aucune responsabilité dans les erreurs qu’il a commises ou incité à commettre, mais évoque les problèmes de l’école comme s’il n’avait jamais été pour rien dans toutes ces affaires.

Le comble est atteint quand on le voit affirmer dans le même « bloc-notes »,qu’il n’est pour rien dans « les absurdités des programmes » et qu’il ne se sent « nullement impliqué dans la jargonisation du vocabulaire scolaire français » et enfin, cerise sur le gâteau, quand il dénonce les « apparatchiks du ministère ». On est tenté de se pincer. Qu’a-t-il été d’autre, dix années durant que le gourou et le chef de ces « apparatchiks ». Alzheimer précoce ou Docteur Philippe et Mister Meirieu ?

« Ort(h)ographe, à qui la faute ? » L’astuce est un peu faiblarde (dans le titre du livre, le h est amovible), mais la réponse est claire. Pour une bonne part, la faute incombe au type d' enseignants et de formateurs qu’incarnent les« auteures » (on peut leur faire ce petit plaisir féministe), aux IUFM, puisque c’est l’invention de Meirieu et que c’est là qu’on a formé les maîtres, aux horaires et aux programmes, mais ces gens-là ou leurs séides ont eu,
des années durant, la haute main sur tous ces domaines qui portent encore leur marque..

Au fait, devinez qui dirige chez ESF, éditeur du livre en cause, la collection« Pédagogie » ? Je vois que vous avez déjà deviné, ce n’était pas difficile : Philippe Meirieu bien sûr.

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