J’ai sous les
yeux un article paru récemment dans un magazine professionnel à l’usage sans
doute exclusif des pédagos ; il a pour titre « Formation des enseignants : mise
au point » et est illustré d’une photo qui surmonte son intitulé.
On y voit douze
personnages vociférant devant une pancarte émanant d’un ou plusieurs IUFM
(Institut de formation des maîtres pour les non-initiés, s’il y en a encore)
puisque cet acronyme encadre le slogan suivant, en capitales pour la première
ligne « ENSEIGNER, UN METIER QUI S’APPREND » et, pour la seconde, en écriture
anglaise malhabile « Pour un service public de la formation ».
Je ne sais pas
trop si l’on a voulu reproduire la graphie maladroite d’un élève de CM1 ou s’il
s’agit de l’écriture normale des actuels étudiants de Master 2, puisque nos
enseignants du futur seront désormais recrutés à ce niveau académique. Je
penche plutôt vers la seconde hypothèse pour avoir vu, récemment encore, des
copies d’étudiants de lettres modernes de ce même niveau.
Premier constat,
et non le moindre, sur les douze personnages de la photo, les deux tiers (8)
sont des filles, ce qui est un indicateur fort sur l’évolution de la
profession, surtout dans le primaire et le secondaire, la vague de féminisation
atteignant désormais l’université. Cette évolution a un certain nombre de
conséquences importantes, d’ordres divers, dans le détail desquels je ne puis
entrer ici.
Seconde remarque.
Les IUFM sont, comme les régions ultramarines « monodépartementales », des
innovations relativement récentes, 1982 pour les secondes, 1989 pour les
premiers. La généralisation des IUFM n’a donc que vingt ans ce qui est fort peu
pour une réforme alors donnée comme très
importante ; elle nous fut présentée même comme révolutionnaire et
concernait à la fois le primaire et le secondaire. Auparavant, en effet, la
formation des instituteurs se faisait dans les écoles normales et les
professeurs du secondaire, certifiés ou agrégés, n’avaient aucune formation
réelle, les « Centres Pédagogiques Régionaux » - CPR - n’étant qu’une vaste
farce sur laquelle je vais revenir.
Cette création
des IUFM s’est inscrite dans l’apparition progressive dans notre pays des «
sciences de l’éducation » qui nous sont venues d’Amérique du Nord. On a
d’ailleurs retenu le terme de « licence de sciences de l’éducation », (dénomination
québécoise), jugée plus noble que « licence de pédagogie » qui avait pourtant
alors les faveurs du ministère. Cette nouvelle filière universitaire instituée,
il a bien fallu ouvrir des activités et des emplois pour ces licenciés (et
bientôt docteurs) en sciences de l’éducation.
L’exemple,
funestement prototypique de cette évolution, est Philippe Meirieu. Ancien
instituteur, il a, non sans adresse, surfé sur cette vague
politico-pédagogique. En 1983, il soutient un doctorat d’Etat avec le sujet
suivant « Apprendre à apprendre », sur lequel il est toutefois, on l'a vu,
inexplicablement discret, peut-être parce qu’il en déclinera inlassablement,
dans la suite, le titre : « Apprendre à apprendre », « Apprendre à apprendre à
apprendre», « Apprendre à apprendre à apprendre…etc. ».
Il est l’un des
artisans majeurs de la loi d’orientation de L. Jospin qui, en 1989, crée les
IUFM, et devient, une dizaine d’années durant, le gourou de la rue de Grenelle.
Il a fini sa carrière comme directeur de l’IUFM de Lyon, avant de se replier
sur l’université de Lyon 2 pour jeter enfin le masque de la pédagogie afin
d’entrer ouvertement en politique sous l’étiquette Europe-Ecologie) en 2009. Je
ne reviens pas sur cet aspect dont j'ai déjà traité.
Revenons donc à
notre propos. Dans ce contexte, à la fin des années 80, la pédagogie, même si
on lui a préféré « sciences de l’éducation », devient le maître-mot des
filières universitaires ainsi dénommées comme celui des IUFM eux-mêmes qui en
sont la résultante. On avait là enfin l’application du vieux principe « Ce
qu’on sait faire on le fait, ce qu’on ne sait pas faire, on l’enseigne ! »
Pour éclairer ce
point, sans raconter ma vie (vous m’accorderez que je ne donne guère dans ce
travers, pourtant assez courant dans certains blogs), je voudrais illustrer
cette question de la fameuse "formation des maîtres" par mon cas
personnel car j’ai autrefois passé successivement les deux concours de
recrutement d’enseignants ouverts dans mon domaine (les lettres classiques), le
CAPES d’abord, l’agrégation ensuite.
Le CAPES (Certificat
d'Aptitude au Professorat de l'Enseignement du Second degré ; on y vérifiait donc les compétences requises
pour la fonction et non une pratique professionnelle) comportait alors une épreuve dite «
théorique » (après la licence donc à bac + 3 (propédeutique + deux années au
moins pour 4 certificats de licence au minimum) mais, en fait, à bac+4 car il
fallait en outre une année pour préparer ce concours). Si l’on y était admis,
ce CAPES théorique faisait de vous un « professeur stagiaire » rémunéré et
affecté à ce titre à un Centre Pédagogique Régional, institution parfaitement
mythique comme on va le voir. La « formation » en CPR ne comportait, en effet, aucun
enseignement et consistait exclusivement en six heures de stage (passif et actif). Il s’agissait d’assister,
chaque semaine, à quelques heures d’enseignement d’un prétendu « maître de
stage », qui se bornait à faire, devant deux ou trois stagiaires planqués au
fond de sa classe, son cours normal.
Le drôle de la
chose, dans mon cas, est que le premier semestre de mon stage s’est déroulé
dans un lycée de garçons de Lyon qui était, par hasard, celui-là même où
j’avais fait mes études secondaires ; j’y avais donc déjà fait, comme élève,
sept années de stage à temps plein et je n’avais donc plus grand chose de
nouveau à apprendre de mes anciens maîtres! En fin d’année de CPR, on faisait
une heure de classe devant un inspecteur général, la chose étant censée être
l’épreuve « pratique » du dit CAPES. Une fois définitivement reçu (je n’ai
jamais vu quiconque échouer à cette épreuve pratique), on était nommé dans un
établissement et vogue, pour quarante ans, la galère pédagogique !
Les choses
étaient encore pires, si l’on peut dire pour l’agrégation, où elles prenaient
vraiment l’allure d’une farce. En d’autres termes, à cette époque, pour le
secondaire, s’il y avait, pour les deux concours de recrutement, des épreuves
théoriques difficiles ; par exemple pour l’agrégation, moins de 10% des candidats
étaient reçus pour un concours à bac + 5 (au moins) : licence en trois ans +
Diplôme d’études supérieures (DES qui deviendra ensuite la maîtrise) et en
outre, en général, une voire deux années de préparation spécifique fort
sérieuse du concours. En revanche, la formation professionnelle, une fois le
concours passé, était rigoureusement NULLE.
Pour en finir
avec mon cas, je ne veux en retenir que trois conclusions.
1 .Pour ce qui me
concerne du moins, les heures de stage ne m’ont rigoureusement rien appris. Cette
année de stage fut pour moi une année de semi-vacances payées qui m’ont permis
de préparer le DES que je n’avais pas encore et qu’il me fallait posséder pour
me présenter à l’agrégation. Mes « maîtres de stage », excellents enseignants
eux-mêmes, ne m’ont en rien conseillé, puisque ces stages consistaient pour eux
à faire devant des stagiaires leurs cours habituels et qu’ils ne nous ont vu
enseigner, au mieux, qu’une heure ou deux.
2. Ma seule vraie
formation pédagogique est celle que j’ai reçue (et qu’ils ne cherchaient
nullement à me donner) de deux de mes maîtres, Pierre Savinel et Jean
Pouilloux, dont je garde toujours le souvenir, aussi vivace et présent, tant
d’années après, le premier professeur de première pour le français, le grec et le
latin au lycée, le second professeur de grec à l'université.
3. A mes yeux,
l’enseignement, comme la médecine, est d’abord et essentiellement un art, mais,
dans les deux cas, il est indispensable, pour les exercer, de maîtriser,
aussi complètement que possible, les savoirs qu’implique et met en œuvre
l’exercice de ces arts.
Les professeurs
de l’époque, « non formés », étaient-ils moins bons que ceux des vingt
dernières années qui ont tâté des IUFM et de la « pédagogie/sciences de
l’éducation »? Pour avoir hélas contribué à leur formation universitaire et,
par là-même, eut à juger des connaissances et des compétence de nombre d'entre
eux, je n’en suis pas certain (litote pour dire que je suis à peu près sûr du
contraire !). En revanche, contrairement à ce
qu'on peut lire ici ou là, je suis tout à fait convaincu que le niveau des
vingt premiers candidats reçus aujourd'hui à telle ou telle agrégation est tout
à fait comparable à ce qu'il était il y a cinquante ans!
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