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dimanche 3 mars 2013

L'école 2013. (N° 16). Retour en arrière. Enseigner un métier qui s'apprend ? (Mon blog du 10 février 2010).


J’ai sous les yeux un article paru récemment dans un magazine professionnel à l’usage sans doute exclusif des pédagos ; il a pour titre « Formation des enseignants : mise au point » et est illustré d’une photo qui surmonte son intitulé.

On y voit douze personnages vociférant devant une pancarte émanant d’un ou plusieurs IUFM (Institut de formation des maîtres pour les non-initiés, s’il y en a encore) puisque cet acronyme encadre le slogan suivant, en capitales pour la première ligne « ENSEIGNER, UN METIER QUI S’APPREND » et, pour la seconde, en écriture anglaise malhabile « Pour un service public de la formation ».

Je ne sais pas trop si l’on a voulu reproduire la graphie maladroite d’un élève de CM1 ou s’il s’agit de l’écriture normale des actuels étudiants de Master 2, puisque nos enseignants du futur seront désormais recrutés à ce niveau académique. Je penche plutôt vers la seconde hypothèse pour avoir vu, récemment encore, des copies d’étudiants de lettres modernes de ce même niveau.

Premier constat, et non le moindre, sur les douze personnages de la photo, les deux tiers (8) sont des filles, ce qui est un indicateur fort sur l’évolution de la profession, surtout dans le primaire et le secondaire, la vague de féminisation atteignant désormais l’université. Cette évolution a un certain nombre de conséquences importantes, d’ordres divers, dans le détail desquels je ne puis entrer ici.

Seconde remarque. Les IUFM sont, comme les régions ultramarines « monodépartementales », des innovations relativement récentes, 1982 pour les secondes, 1989 pour les premiers. La généralisation des IUFM n’a donc que vingt ans ce qui est fort peu pour une réforme alors donnée comme très importante ; elle nous fut présentée même comme révolutionnaire et concernait à la fois le primaire et le secondaire. Auparavant, en effet, la formation des instituteurs se faisait dans les écoles normales et les professeurs du secondaire, certifiés ou agrégés, n’avaient aucune formation réelle, les « Centres Pédagogiques Régionaux » - CPR - n’étant qu’une vaste farce sur laquelle je vais revenir.

Cette création des IUFM s’est inscrite dans l’apparition progressive dans notre pays des « sciences de l’éducation » qui nous sont venues d’Amérique du Nord. On a d’ailleurs retenu le terme de « licence de sciences de l’éducation », (dénomination québécoise), jugée plus noble que « licence de pédagogie » qui avait pourtant alors les faveurs du ministère. Cette nouvelle filière universitaire instituée, il a bien fallu ouvrir des activités et des emplois pour ces licenciés (et bientôt docteurs) en sciences de l’éducation.

L’exemple, funestement prototypique de cette évolution, est Philippe Meirieu. Ancien instituteur, il a, non sans adresse, surfé sur cette vague politico-pédagogique. En 1983, il soutient un doctorat d’Etat avec le sujet suivant « Apprendre à apprendre », sur lequel il est toutefois, on l'a vu, inexplicablement discret, peut-être parce qu’il en déclinera inlassablement, dans la suite, le titre : « Apprendre à apprendre », « Apprendre à apprendre à apprendre», « Apprendre à apprendre à apprendre…etc. ».

Il est l’un des artisans majeurs de la loi d’orientation de L. Jospin qui, en 1989, crée les IUFM, et devient, une dizaine d’années durant, le gourou de la rue de Grenelle. Il a fini sa carrière comme directeur de l’IUFM de Lyon, avant de se replier sur l’université de Lyon 2 pour jeter enfin le masque de la pédagogie afin d’entrer ouvertement en politique sous l’étiquette Europe-Ecologie) en 2009. Je ne reviens pas sur cet aspect dont j'ai déjà traité.

Revenons donc à notre propos. Dans ce contexte, à la fin des années 80, la pédagogie, même si on lui a préféré « sciences de l’éducation », devient le maître-mot des filières universitaires ainsi dénommées comme celui des IUFM eux-mêmes qui en sont la résultante. On avait là enfin l’application du vieux principe « Ce qu’on sait faire on le fait, ce qu’on ne sait pas faire, on l’enseigne ! »

Pour éclairer ce point, sans raconter ma vie (vous m’accorderez que je ne donne guère dans ce travers, pourtant assez courant dans certains blogs), je voudrais illustrer cette question de la fameuse "formation des maîtres" par mon cas personnel car j’ai autrefois passé successivement les deux concours de recrutement d’enseignants ouverts dans mon domaine (les lettres classiques), le CAPES d’abord, l’agrégation ensuite.

Le CAPES (Certificat d'Aptitude au Professorat de l'Enseignement du Second degré ; on y vérifiait donc les compétences requises pour la fonction et non une pratique professionnelle) comportait alors une épreuve dite « théorique » (après la licence donc à bac + 3 (propédeutique + deux années au moins pour 4 certificats de licence au minimum) mais, en fait, à bac+4 car il fallait en outre une année pour préparer ce concours). Si l’on y était admis, ce CAPES théorique faisait de vous un « professeur stagiaire » rémunéré et affecté à ce titre à un Centre Pédagogique Régional, institution parfaitement mythique comme on va le voir. La « formation » en CPR ne comportait, en effet, aucun enseignement et consistait exclusivement en six heures de stage (passif et actif). Il s’agissait d’assister, chaque semaine, à quelques heures d’enseignement d’un prétendu « maître de stage », qui se bornait à faire, devant deux ou trois stagiaires planqués au fond de sa classe, son cours normal.

Le drôle de la chose, dans mon cas, est que le premier semestre de mon stage s’est déroulé dans un lycée de garçons de Lyon qui était, par hasard, celui-là même où j’avais fait mes études secondaires ; j’y avais donc déjà fait, comme élève, sept années de stage à temps plein et je n’avais donc plus grand chose de nouveau à apprendre de mes anciens maîtres! En fin d’année de CPR, on faisait une heure de classe devant un inspecteur général, la chose étant censée être l’épreuve « pratique » du dit CAPES. Une fois définitivement reçu (je n’ai jamais vu quiconque échouer à cette épreuve pratique), on était nommé dans un établissement et vogue, pour quarante ans, la galère pédagogique !

Les choses étaient encore pires, si l’on peut dire pour l’agrégation, où elles prenaient vraiment l’allure d’une farce. En d’autres termes, à cette époque, pour le secondaire, s’il y avait, pour les deux concours de recrutement, des épreuves théoriques difficiles ; par exemple pour l’agrégation, moins de 10% des candidats étaient reçus pour un concours à bac + 5 (au moins) : licence en trois ans + Diplôme d’études supérieures (DES qui deviendra ensuite la maîtrise) et en outre, en général, une voire deux années de préparation spécifique fort sérieuse du concours. En revanche, la formation professionnelle, une fois le concours passé, était rigoureusement NULLE.

Pour en finir avec mon cas, je ne veux en retenir que trois conclusions.

1 .Pour ce qui me concerne du moins, les heures de stage ne m’ont rigoureusement rien appris. Cette année de stage fut pour moi une année de semi-vacances payées qui m’ont permis de préparer le DES que je n’avais pas encore et qu’il me fallait posséder pour me présenter à l’agrégation. Mes « maîtres de stage », excellents enseignants eux-mêmes, ne m’ont en rien conseillé, puisque ces stages consistaient pour eux à faire devant des stagiaires leurs cours habituels et qu’ils ne nous ont vu enseigner, au mieux, qu’une heure ou deux.

2. Ma seule vraie formation pédagogique est celle que j’ai reçue (et qu’ils ne cherchaient nullement à me donner) de deux de mes maîtres, Pierre Savinel et Jean Pouilloux, dont je garde toujours le souvenir, aussi vivace et présent, tant d’années après, le premier professeur de première pour le français, le grec et le latin au lycée, le second professeur de grec à l'université.

3. A mes yeux, l’enseignement, comme la médecine, est d’abord et essentiellement un art, mais, dans les deux cas, il est indispensable, pour les exercer, de maîtriser, aussi complètement que possible, les savoirs qu’implique et met en œuvre l’exercice de ces arts.

Les professeurs de l’époque, « non formés », étaient-ils moins bons que ceux des vingt dernières années qui ont tâté des IUFM et de la « pédagogie/sciences de l’éducation »? Pour avoir hélas contribué à leur formation universitaire et, par là-même, eut à juger des connaissances et des compétence de nombre d'entre eux, je n’en suis pas certain (litote pour dire que je suis à peu près sûr du contraire !). En revanche, contrairement à ce qu'on peut lire ici ou là, je suis tout à fait convaincu que le niveau des vingt premiers candidats reçus aujourd'hui à telle ou telle agrégation est tout à fait comparable à ce qu'il était il y a cinquante ans!

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