Dans le cadre de nos conférences mensuelles sur l’Art et la Manière,
vous allez entendre Madame Marie-Paule Carmiche , Conservateur du Musée
National de la Sécurité Sociale ; elle va aborder devant vous un sujet délicat,
mais combien passionnant, l’iconographie syndicale avec pour objet l’une de ses
figures françaises majeures, Marc Blondel.
Madame Carmiche, vous avez la parole:
“ Le regretté Pierre Dac, providence cachée de beaucoup de nos humoristes en mal d’inspiration, disait dans l’un de ses sketches, “ Nocturne ” me semble-t-il, ... “ Le soleil se couchait dans une apothéose de gloire comparable à celle de la Sécurité Sociale ”.
Cette vénérable et noble institution est aujourd’hui fort ébranlée ; comme vous le savez, on évoque plus souvent à son propos le “ trou ” où elle risque fort de sombrer que la “ gloire ” qui l’auréolait naguère.
Le français est une langue fort riche, mais certaines de ses richesses demeurent mal connues ; si vous cherchez ce mot “ gloire ” dans le dictionnaire, vous découvrirez que, dans le vocabulaire de l’art, il désigne à la fois “ le cercle de lumière autour de la tête des saints ” qu’on nomme familièrement “ auréole ” (on connaît la plaisanterie classique “ Elle te serre pas trop ton auréole? ”) et une “ représentation ouverte du Ciel avec Dieu et les anges ”.
La Sécurité Sociale, dans sa gloire, c’est donc à la fois un trou et le ciel, un gouffre vertigineux et des ruines majestueuses ; ces paysages mélancoliques, dignes des grands maîtres de la Renaissance, sont ornés d’anges protecteurs et de saints, au premier rang desquels Saint Blondel, martyrisé pour s’être opposé à ce que soient enlevés par l’Etat les vierges des caisses d’assurance maladie.
Les spécialistes sont d’ailleurs partagés sur cet aspect de l’iconographie blondélienne ; les uns affirment l’influence des tableaux représentant “ L’enlèvement des Sabines ” peints par Rubens et Poussin sur les représentations de Saint Blondel défendant la Sécurité Sociale contre les entreprises du centurion Alanus Jupéus ; les autres contestent ce point de vue ; ils soulignent, en effet, le rôle essentiel d’une figure originale, absente des tableaux de Poussin et de Rubens ; il s’agit d’un personnage médiateur, Jacobus Baraui, qui, les mains jointes et implorantes, tente de s’interposer et d’empêcher le centurion Jupeus de percer de son glaive l’abdomen largement offert de Saint Blondel. Le problème demeure donc entier, comme le Saint lui-même d’ailleurs.
Dans l’iconographie traditionnelle de la Sécurité Sociale, on représente généralement Saint Blondel sous la forme d’un homme corpulent, voire ventru, vêtu de cachemire, fumant un gros cigare, sortant d’une Safrane noire dont la porte lui est ouverte avec déférence par son chauffeur noir. La classe quoi ! Ces attributs classiques du saint ne doivent pas toutefois induire en erreur le spectateur naïf ; ils ne signifient nullement de la part de Saint Blondel un attachement excessif aux biens de la terre et, bien moins encore, un goût affirmé pour les plaisirs du monde.
On doit tout de même à la vérité de dire que la Legenda aurea ou Légende dorée, récit de la vie des saints composé en latin par Jacques de Voragine, nous apprend que Saint Blondel passait quotidiennement plusieurs heures à festoyer ; cette habitude pourrait, peut-être, expliquer son embonpoint et son teint rubicond. On sait toutefois que cette Vie des Saints mêle souvent à des récits authentiques des traits légendaires propres à frapper les imaginations populaires.
On ne doit pas davantage tirer des conclusions hâtives et hasardée du fait qu’une petite rue de Paris, proche de la rue Saint Denis, porte le nom de ce même saint. Certes les créatures qui la peuplent et y accomplissent leur office, auraient pu justifier de sa part des missions évangélisatrices, dans la mesure où leur activité n’est pas justiciable de la Sécurité Sociale, quoiqu’elle participe souvent de l’assurance maladie. Toutefois, les raisons qui ont pu pousser à mettre ce lieu de stupre sous le patronage de Saint Blondel ne sont pas encore clairement établies par les historiens.
Pour en revenir à l’iconographie blondélienne, on ne doit pas s’attacher trop rigoureusement à des signes extérieurs de prospérité qui semblent caractériser le saint comme un jouisseur qui, dans sa mission syndicale, s’accommode volontiers des avantages du pouvoir et de la richesse. Certes on aurait pu le représenter jetant au loin son cigare ou mettant Safrane et chauffeur au service des "Restaurants du coeur", mais une telle figuration, grossièrement réaliste, serait moins parlante que celle qui nous est offerte et qui suppose de la part du spectateur un décodage subtil des éléments de la représentation.
Tout est en effet dans le symbole. L’esprit le moins observateur l’aura remarqué ; même s’il descend d’une voiture luxueuse, non sans quelque mérite en raison de son embonpoint et d’une lourdeur consécutive à un séjour prolongé dans un trois-étoiles, et même s’il fume un havane de prix, Saint Blondel porte, négligemment drapée autour de son cou robuste, une écharpe rouge. Tout est dans ce symbole et c’est là l’essentiel. Même si Saint Blondel n’a jamais connu la condition ouvrière, puisqu’il y a héroïquement renoncé, dès son entrée dans la vie, pour se sacrifier sur l’autel d’une carrière exclusivement syndicale, il n’hésite pas un instant à arborer l’insigne écarlate du peuple du travail. Que pèsent donc Safrane (même plus ou moins offerte par le MEDEF, à moins que ce ne soit son chauffeur!), banquets et cigares face à un geste dont la portée symbolique éclate avec tant de force? ”
Madame Carmiche, vous avez la parole:
“ Le regretté Pierre Dac, providence cachée de beaucoup de nos humoristes en mal d’inspiration, disait dans l’un de ses sketches, “ Nocturne ” me semble-t-il, ... “ Le soleil se couchait dans une apothéose de gloire comparable à celle de la Sécurité Sociale ”.
Cette vénérable et noble institution est aujourd’hui fort ébranlée ; comme vous le savez, on évoque plus souvent à son propos le “ trou ” où elle risque fort de sombrer que la “ gloire ” qui l’auréolait naguère.
Le français est une langue fort riche, mais certaines de ses richesses demeurent mal connues ; si vous cherchez ce mot “ gloire ” dans le dictionnaire, vous découvrirez que, dans le vocabulaire de l’art, il désigne à la fois “ le cercle de lumière autour de la tête des saints ” qu’on nomme familièrement “ auréole ” (on connaît la plaisanterie classique “ Elle te serre pas trop ton auréole? ”) et une “ représentation ouverte du Ciel avec Dieu et les anges ”.
La Sécurité Sociale, dans sa gloire, c’est donc à la fois un trou et le ciel, un gouffre vertigineux et des ruines majestueuses ; ces paysages mélancoliques, dignes des grands maîtres de la Renaissance, sont ornés d’anges protecteurs et de saints, au premier rang desquels Saint Blondel, martyrisé pour s’être opposé à ce que soient enlevés par l’Etat les vierges des caisses d’assurance maladie.
Les spécialistes sont d’ailleurs partagés sur cet aspect de l’iconographie blondélienne ; les uns affirment l’influence des tableaux représentant “ L’enlèvement des Sabines ” peints par Rubens et Poussin sur les représentations de Saint Blondel défendant la Sécurité Sociale contre les entreprises du centurion Alanus Jupéus ; les autres contestent ce point de vue ; ils soulignent, en effet, le rôle essentiel d’une figure originale, absente des tableaux de Poussin et de Rubens ; il s’agit d’un personnage médiateur, Jacobus Baraui, qui, les mains jointes et implorantes, tente de s’interposer et d’empêcher le centurion Jupeus de percer de son glaive l’abdomen largement offert de Saint Blondel. Le problème demeure donc entier, comme le Saint lui-même d’ailleurs.
Dans l’iconographie traditionnelle de la Sécurité Sociale, on représente généralement Saint Blondel sous la forme d’un homme corpulent, voire ventru, vêtu de cachemire, fumant un gros cigare, sortant d’une Safrane noire dont la porte lui est ouverte avec déférence par son chauffeur noir. La classe quoi ! Ces attributs classiques du saint ne doivent pas toutefois induire en erreur le spectateur naïf ; ils ne signifient nullement de la part de Saint Blondel un attachement excessif aux biens de la terre et, bien moins encore, un goût affirmé pour les plaisirs du monde.
On doit tout de même à la vérité de dire que la Legenda aurea ou Légende dorée, récit de la vie des saints composé en latin par Jacques de Voragine, nous apprend que Saint Blondel passait quotidiennement plusieurs heures à festoyer ; cette habitude pourrait, peut-être, expliquer son embonpoint et son teint rubicond. On sait toutefois que cette Vie des Saints mêle souvent à des récits authentiques des traits légendaires propres à frapper les imaginations populaires.
On ne doit pas davantage tirer des conclusions hâtives et hasardée du fait qu’une petite rue de Paris, proche de la rue Saint Denis, porte le nom de ce même saint. Certes les créatures qui la peuplent et y accomplissent leur office, auraient pu justifier de sa part des missions évangélisatrices, dans la mesure où leur activité n’est pas justiciable de la Sécurité Sociale, quoiqu’elle participe souvent de l’assurance maladie. Toutefois, les raisons qui ont pu pousser à mettre ce lieu de stupre sous le patronage de Saint Blondel ne sont pas encore clairement établies par les historiens.
Pour en revenir à l’iconographie blondélienne, on ne doit pas s’attacher trop rigoureusement à des signes extérieurs de prospérité qui semblent caractériser le saint comme un jouisseur qui, dans sa mission syndicale, s’accommode volontiers des avantages du pouvoir et de la richesse. Certes on aurait pu le représenter jetant au loin son cigare ou mettant Safrane et chauffeur au service des "Restaurants du coeur", mais une telle figuration, grossièrement réaliste, serait moins parlante que celle qui nous est offerte et qui suppose de la part du spectateur un décodage subtil des éléments de la représentation.
Tout est en effet dans le symbole. L’esprit le moins observateur l’aura remarqué ; même s’il descend d’une voiture luxueuse, non sans quelque mérite en raison de son embonpoint et d’une lourdeur consécutive à un séjour prolongé dans un trois-étoiles, et même s’il fume un havane de prix, Saint Blondel porte, négligemment drapée autour de son cou robuste, une écharpe rouge. Tout est dans ce symbole et c’est là l’essentiel. Même si Saint Blondel n’a jamais connu la condition ouvrière, puisqu’il y a héroïquement renoncé, dès son entrée dans la vie, pour se sacrifier sur l’autel d’une carrière exclusivement syndicale, il n’hésite pas un instant à arborer l’insigne écarlate du peuple du travail. Que pèsent donc Safrane (même plus ou moins offerte par le MEDEF, à moins que ce ne soit son chauffeur!), banquets et cigares face à un geste dont la portée symbolique éclate avec tant de force? ”
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