Je vous arrête
tout de suite. Ne cherchez pas cette auberge sahélienne dans le Guide Michelin, vous ne l'y trouverez
pas. Nous y sommes pourtant, et, à mon avis, nous ne sommes pas près d'en
sortir, selon la formule consacrée !
Un petit retour
en arrière est nécessaire pour comprendre quelque chose à cette situation fort
compliquée et sur laquelle "on ne nous dit pas tout", loin de là.
Je ne sais même
pas si le nom d'Idriss Deby Itno (Il a adjoint ce nom à son précédent
patronyme)vous dit quelque chose ; il est, en tout cas, beaucoup plus connu
depuis le début de la guerre au Nord-Mali puisque il est le Président de la République
du Tchad qui a joué un rôle décisif, dans les opérations comme dans la
médiatisation de cette guerre, occultant même, sans que cette dernière s'en
fâche, le rôle de la France, quoique les troupes françaises soient deux fois
plus nombreuses que les Tchadiens. Il est vrai que les pertes de ces dernières ont
été, en gros, 50 fois plus importantes que celles de l'armée française (cinq
morts, dont trois hors de la zone Nord), même si ces données ont été soigneusement
dissimulées tant du côté tchadien que du côté français.
Le Tchad est un
Etat dont les relations avec ses voisins, le soudanais en particulier, sont fort
agitées ; le pays lui-même ne brille pas par le calme intérieur et il subit en
outre les contrecoups des relations avec ses voisins. Tantôt le Soudan (surtout
jusqu'en 2009 ; les relations se sont quelque peu normalisées depuis) mais aussi la République Centrafricaine, où les choses se gâtent à nouveau.
Les relations
entre le nouveau président français, élu en mai 2012, et Idriss Deby ont été
passablement tumultueuses dans le deuxième semestre de l'année 2011 (rappelons
que c'est le 21 mars 2012 que le président régulièrement élu du Mali Amadou
Toumani Touré dit "ATT" a été renversé par le capitaine Sanogo). Le
Tchad, qui n'est pas membre de la CEDEAO (Afrique de l'Ouest) mais de l'équivalent
de cette organisation en Afrique centrale (la CEMAC), n'a donc pas été
officiellement associé aux premières réflexions de cette assemblée sur le Mali
; il avait donc fait clairement savoir qu'il ne bougerait pas tant qu'on ne le
solliciterait pas. Or, en dépit des purges que Deby a fait subir à son armée,
celle-ci est sans doute la meilleure et la plus expérimentée des troupes des
Etats du Sahel.
Idriss Déby, qui
n'est pas précisément socialiste et qui a même fait disparaître depuis cinq ans,
on ne sait trop comment, l' opposant socialiste tchadien majeur (il a été
enlevé par des militaires et n'a jamais reparu), n'est donc pas fait pour
s'entendre le mieux du monde avec François Hollande. S'ajoute à cela, l'affaire
de l'Arche de Zoé qui n'est pas complètement réglée (en particulier pour
l'indemnisation des prétendus "parents" par la France) et dans laquelle le
président tchadien se déclare, si je puis dire, "blanc comme neige"!
Néanmoins, à
l'automne 2012, François Hollande, passant sur ces menus différends, comprend bien que l'intervention
du Tchad est indispensable, car on ne peut guère compter, ni sur l'Europe, ni
sur Obama, ni sur les troupes de la CEDEAO, ni sur celles de l'ONU ; un
rendez-vous est donc pris en octobre 2012 pour une visite officielle à Paris du
président Deby qui, par ailleurs, marque ses sentiments quelque peu refroidis
envers la France en ne participant pas au Sommet de la Francophonie à Kinshasa,
où il aurait pu rencontrer François Hollande qui a fini par s'y rendre.
Je vous épargne
les détails (que je ne connais d'ailleurs pas) des tractations qui s'opèrent
dans le dernier trimestre 2012 entre Paris et N'Djamena, la visite d'octobre ayant été annulée, comme on dit pudiquement et si joliment dans le langage diplomatique, « en raison d'un
conflit d'agendas". François Hollande finira sans doute par céder aux
exigences de Deby (et ce n'est pas fini...!) et Idriss Deby sera reçu à l'Élysée
le 5 décembre 2012, en grande pompe et avec tous les honneurs, en dépit de ses
réserves. Idriss Deby profite naturellement de la situation pour se faire prier
et avoir l'air de ne rien céder tout en haussant ses exigences. Ne cherchez pas dans la presse française des
détails sur cette rencontre ; elle s'est montrée fort discrète et seule RFI,
qui ne pouvait guère faire autrement, en a parlé quelque peu.
Si Idriss Deby a
fanfaronné et clamé son indépendance au sortir de son entrevue avec François
Hollande et dans les comptes-rendus faits de sa visite sur le site officiel de
la République du Tchad et dans la presse locale, il n'empêche qu'un mois après
il annonce soudain l'envoi de plus de 2000 hommes au Mali !
Comme j'ai déjà
parlé des événements qui ont suivi depuis cette date dans mes précédents posts
de la série "Honni soit qui Mali pense", je n'y reviens pas et y
renvoie.
Toujours est-il
que l'affaire du Mali non seulement a obligé la France à mettre les pouces dans
ses relations avec Idriss Deby, mais elle a permis à ce dernier à la fois de rétablir sa
situation au Tchad même, où elle demeure instable, mais et surtout de se donner
une image internationale qu'il n'avait guère, au sein de la zone de la CEMAC d'abord,
où il joue un rôle décisif avec le président congolais Denis Sassou Nguesso. En
RCA, il contraint François Bozizé à négocier avec l'opposition coalisée dans le
Séléka . Les choses rebondissent d'ailleurs, aujourd'hui même, puisque les rebelles
du Séléka marchent de nouveau sur Bangui et que les Français doivent sans doute
y intervenir sous prétexte de protéger leurs ressortissants. Idriss Déby a également
tenu un discours vengeur et autoritaire
au sein de la CEDEAO (dont le Tchad ne fait pas parti et a fortement tancé les
membres officiels de cette organisation ainsi que les soldats maliens dont la
place, à l'entendre, devait être au front, même si les groupes Tamasheq s'y
opposent dans leur zone et si la France a cédé à leur demande à propos de
l'occupation de Kidal).
Nous étions
fortement engagés au Mali, dont nous devions retirer nos troupes en avril
2013 (début avril d'abord, puis dans la suite fin avril et sans préciser l'importance
exacte de ces retraits); les troupes retirées n'auront pas trop de chemin à
faire si elles doivent se rendre en République Centrafricaine où on annonce
aujourd'hui même, 24 mars 2013, qu'elles vont intervenir.
Comme je vous le
disais en commençant, nous ne sommes pas sortis de l'auberge sahélienne et le
moins qu'on puisse dire c'est qu'elle n'est ni confortable ni accueillante et que nous n'y sommes pas, aux yeux de beaucoup, les
bienvenus.
1 commentaire:
Cher Usbek,
je pense qu'en termes de négociations entre la France et le Tchad, s'agissant de cet engagement et peut-être davantage, Idriss Déby est mieux armé, si j'ose dire, que Hollande.
Sur un point de vue militaire, lui sait au moins de quoi il parle puisque ce n'est pas un politique, mais un militaire ayant pris le pouvoir, en plus avec le soutien des Français, les militaires ayant sans aucun doute joué de leur influence pour qu'on se débarrasse enfin de Hissène Habré en faveur de celui qu'ils considéraient comme leur poulain. Sur ce dernier point je peux témoigner de la côte de popularité qu'il pouvait avoir auprès du commandement français au Tchad au cours des années 80 quand il était alors le commandant en chef, très efficace par ailleurs, des forces tchadiennes. Tout ça pour dire que la guerre et ce type de guerre il connait pour l'avoir vécu, comme il connait nos faiblesses sur ce type de terrain face à ce type d'ennemis.
Maintenant il faut considérer les intérêts réciproques des uns et des autres.
S'agissant du Mali, inutile de s'étendre sur le fait que l'apport tchadien est fondamental.
Sur un plan plus global, on considèrera que Déby ayant troqué sa djellaba de comchef des forces armées tchadiennes contre le costume cravate du chef d'Etat ne s'est pas bonifié, c'est une litote. Reste qu'on l'a sorti une ou deux fois de la panade. La dernière fois on en était aux dernières extrémités puisque le palais présidentiel était encerclé et lui dedans. Ce qui veut dire qu'il est sans doute plus utile qu'un éventuel successeur inconnu. Déby est la dernier avatar de ces gens du Nord au pouvoir depuis la fin des années 70. Il y avait le duo Goukouni-Habré qui se disputait régulièrement le pouvoir, et vite Déby est apparu comme un remplaçant possible et même crédible. Depuis c'est moins clair ou disons qu'on n'a pas de réel "poulain". Donc notre intérêt est peut-être de garder celui qu'on connait et qui nous garantit un positionnement intéressant dans cette région de l'Afrique, surtout depuis que notre présence en Centrafrique est devenue symbolique.
Tout ça pour dire que pour l'instant, il profite dans ses rapports avec la France d'une situation qui lui est favorable, ce qui lui permet effectivement de fanfaronner.
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