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jeudi 4 avril 2013

Armée et langue françaises


Ce rapprochement sur lequel s'achevait mon blog d'hier a pu sembler insolite à un nombre d'entre vous ; peut-être arriverais-je à convaincre qu'il est moins étrange que vous ne le pensez.

Les linguistes étant incapables de répondre à la question, sans cesse et toujours posée, de la différence entre une langue et un dialecte, on a imaginé une réponse toute faite : une langue est un dialecte qui a une armée et une marine. Elle n'est pas si mauvaise que ça et a ici pour moi l'avantage de rapprocher langue et armée.

Il est clair que les exigences de certains touchant l'armée de la France renvoient à une situation et, par là, à une image de cet Etat qui ne sont plus celles que nous connaissons actuellement, au moins pour la situation objective. C'est pour cela que j'évoquais hier une vision "rivarolienne" de la France qui effectivement, à la fin du XVIIIe siècle, avait en Europe une situation qui n'est plus la nôtre aujourd'hui, en particulier pour ce qui concerne la langue qui était celle de toutes les cours européennes.

La différence majeure est que, pour tout ce qui touche notre armée, on entend guère de tous côtés, et en particulier du côté des militaires, qu'un concert de lamentations sur la diminution de ses moyens et, de ce fait, sur le caractère lamentable de son état. Il en est tout autrement du côté de la langue où ont été mis en place des organismes officiels, soit "francophones" (comme l'Agence de coopération culturelle et technique, l'ACCT, créée en 1970 à Niamey et devenue aujourd'hui l'Agence intergouvernementale de la francophonie, l'AIF, ou comme l'Association des universités entièrement ou partiellement de langue française, l'AUPELF devenue ensuite UREF et aujourd'hui Agence universitaire de la francophonie, l'AUF, sous l'autorité de principe de la précédente), soit français comme la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (la DGLFLF).

Une partie de l'activité de ces organismes, francophones et français, consiste à organiser une forme de propagande en faveur de la langue française dont l'essentiel repose sur des évaluations du nombre de francophones et de la place du français dans le monde.

La tradition dans ce genre d'organismes (car il y en a eu bien d'autres dans les dernières décennies) consiste à compter les francophones dans le monde, sans toutefois jamais se poser la question première er centrale de la définition précise et concrète de ce qu'est un francophone! Cela permet naturellement des estimations extrêmement variables que ces organismes ont évidemment tendance à pousser vers le haut, le record actuel s'établissant entre 300 et 500 millions de francophones dans le monde, ce qui est évidemment totalement absurde.

Les Québécois qui sont les plus militants dans ce domaine et ils ont souvent reproché à la France hexagonale sa tiédeur, voire son inertie, en la matière. Ils se sont même récemment donné, avec le concours financier de l' OIF, un institut spécialisé situé à l'Université Laval à Québec dont les visées d'ordre démo-linguistiques consistent à fournir des chiffres, réputés scientifiques vu leur origine universitaire, mais qui ne le sont guère et ne sont même pas sérieux. Je pense que les responsables de cet organisme jugent bon de "renvoyer l'ascenseur" à l'OIF, leur bailleur de fonds, qui a financé pour partie la création de cet institut, le Québec fournissant le reste.

On pourrait juger innocentes de telles pratiques (et elles le sont d'une certaine façon) si elles n'étaient pas, sur le plan concret et pratique, extrêmement nuisibles. L'apparence scientificité de telles données repose essentiellement sur des prévisions démographiques dont chacun sait ce qu'elles valent et qui mettent en avant surtout la forte croissance démographique actuelle de l'Afrique dite « francophone » mais qui ne l'est guère sur le plan linguistique. Ces extrapolations sont d'autant plus aisées pour les démographes-linguistes de Québéc qu'ils n'ont, pour la plupart jamais mis les pieds sur le vrai terrain africain où ils redoutent d'aller d'aller, car il y fait très chaud et le pays est plein d'insectes et de maladies que n'apprécient guère les Américains du Nord dans leur ensemble.

Le plus grave dans cette affaire (je ne puis m'étendre sur ce sujet que j'ai traité des dizaines de fois) est que ces évaluations exagérément optimistes et cette propagande qui ne reposent sur rien détournent d'envisager des mesures sérieuses et efficaces qui pourraient aider, effectivement et réellement, à une diffusion de la langue française, au premier chef en Afrique mais, au-delà, dans le reste du monde.

Il est en effet évident que le dispositif actuel de diffusion du français est obsolète et inadapté et, par là même, inefficace. Mettre fallacieusement en avant des succès prétendus de ce dispositif contribue à le perpétuer de façon funeste. Ces évaluations, follement optimistes, sont donc en réalité extrêmement néfastes.  Mieux vaudrait, en se fondant sur une vision claire et lucide de la situation, envisager des solutions mieux adaptées et plus réalistes, et par là plus efficaces.

Les nécessités du genre court qu'est le blog m'amènent à revenir rapidement au second terme de ma comparaison qui est l'armée, pour dire qu'il en est de même pour la défense et que, continuer, comme certains le font, à présenter la France comme ayant l'ambition légitime de "peser sur le monde" est le meilleur moyen d'avoir une politique de défense ridiculement inefficace et même inutile. Mieux vaudrait définir les vraies fins de l'existence d'une armée française pour adapter ses effectifs, son équipement et son fonctionnement à ces finalités, au lieu de continuer à rêver pour la France d'une place dans le monde qu'elle n'a plus depuis longtemps.

L'armée et la langue françaises doivent, l'une et l'autre, se définir, de façon précise mais surtout réaliste, des objectifs et des ambitions, si elles veulent avoir les moyens et les stratégies pour les approcher de façon réelle au lieu de continuer à rêver sur les illusions du passé.

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