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vendredi 19 avril 2013

Essence vs gazole. Et vive la Père Ubu !


 

Faut-il que je rappelle une fois de plus que je suis nullement spécialiste de certaines des questions dont je parle mais que je me borne, à la différence de la plupart de nos médias, à une simple consultation des organes et des documents spécialisés.

Commençons donc par le plus simple et le plus évident : la France consomme chaque année,10 millions de tonnes d'essence qu'elle produit en excès, et plus de 33 millions de tonnes de gazole dont elle manque ; selon d'autres sources (l'Union française des industries pétrolières, mais les ordres de grandeur sont, en gros, les mêmes), en 2012, le gazole aurait représenté 80,1% des carburants consommés en France, ce qui constitue un record. La chose est, en somme, assez normale puisqu'en 2012, 72,9 % des voitures particulières vendues en France étaient des modèles diesel contre 55,2 % en moyenne en Europe de l'Ouest, seuls le Luxembourg et l'Irlande devançant la France sur ce terrain.

Jusque-là, au fond rien d'anormal, si ce n'est que cette situation dure depuis trente ans et que la France est totalement incapable de produire de telles quantités de gazole et que, pire encore, elle doit en importer des quantités de plus en plus considérables. Y-a-t-il un pilote dans l'avion ?  Entre 2002 et 2010, ses importations françaises de gazole (en valeur) ont été multipliées par plus de trois, tandis qu'en revanche, elle persiste à  produire trop d'essence et doit en exporter. Toutefois, en valeur (ce qui est une autre dimension très importante du problème), le déficit des échanges est très inégal ! La valeur des importations de gazole, qui était de 8,9 milliards d'euros en 2010, serait proche de 13 milliards pour 2011, tandis que les exportations d'essence, pour la même année 2011, ne seraient que de 2,8 milliards. Notre déficit énergétique est là !

Nous nous trouvons ainsi en face d'une situation absurde, puisque, dans le même temps où nous importons du gazole en quantités énormes, nous fermons des raffineries avec tous les problèmes sociaux qui en découlent (cette situation étant illustrée par le cas de Petroplus), ce qui amène à une réflexion sur ce problème, réflexion que nos compagnies pétrolières ont apparemment négligé ou refusé de prendre en compte – en fonction de leurs intérêts propres bien entendu.

Commençons assez logiquement la question du prix de revient et d'achat de ces produits. Hors-taxes, le gazole n'est pas moins cher que l'essence comme on pourrait le croire. Il est même un peu plus cher puisque sur le marché de Rotterdam, il coûte 64 centimes en moyenne contre 61 pour l'essence sans plomb 95. On pourrait même dire que ce coût relativement moins élevé de l'essence est largement annulé par le fait que la consommation de diesel est moindre, puisque sur un même trajet automobile et à motorisation équivalente, on consomme 15 % de moins de gazole que d'essence.

Comme je le disais précédemment, la France est donc obligée d'acheter à l'étranger du gazole et d'y vendre, sans doute à perte, ses surplus d'essence. Jusque vers 2006, ce trafic se faisait essentiellement en direction des États-Unis ; les navires transportant, les uns notre essence vers les États-Unis, les autres le gazole américain vers la France, devaient se croiser au milieu de l'Atlantique, à moins qu'on ait eu l'idée ingénieuse de charger en gazole américain au retour, les navires une fois vidés de leur essence française. Depuis 2006, ce commerce transatlantique s'est étiolé, la consommation d'essence américaine s'étant réduite et les échanges se faisant désormais essentiellement avec la Russie et l'Asie pour le gazole que nous importons, tandis que l'Europe constitue le principal client à l'exportation notre essence qui est achetée essentiellement par les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Belgique.

Il faut évidemment mettre en évidence l'explication historique d'une situation aussi absurde qui a conduit à multiplier par trois en gros nos importations de gazole et par deux nos exportations d'essence, sans que nous ayons jamais songé à changer les productions de nos raffineries, alors que nous développions, d'une façon totalement artificielle et volontariste au départ, la production française de véhicules diesel.

Les choses remontent en fait à la décision du général De Gaulle sur le nucléaire français qui a conduit, en particulier, à promouvoir massivement le chauffage électrique en France et par là a diminué les besoins en fioul domestique. Le choix du moteur diesel dans la suite allait dans le même sens. Le grand propagandiste en fut Jacques Calvet, le patron du groupe PSA, partisan si enthousiaste du gazole et adversaire si résolu de la publication de ses propres augmentations de salaires. il joua avec assez d'adresse sur le chauvinisme français qui est une réaction qui ne fait jamais défaut chez nous, en affirmant que nous étions "les meilleurs du monde en matière de diesel". L'industrie automobile française s'est donc employée, à partir des années 80-90, à améliorer avec succès les moteurs diesel, ce qui d'ailleurs conduisait à se gagner le puissant lobby des transporteurs routiers si prompts, pour appuyer leurs revendications, à bloquer les routes. Cette victoire du lobby routier a été marquée en 2007 lorsque l'Union européenne a accepté le principe du "gazole professionnel", pratiqué par la France, qui permettait aux transporteurs de se faire rembourser une partie de la taxe sur les produits pétroliers, à raison de cinq euros par hectolitre.

Les prix très bas du gazole en France résultent donc purement et simplement de la défiscalisation, ce qui veut dire, en d'autres termes, que c'est l'Etat c'est-à-dire l'ensemble des citoyens français (y compris ceux qui roulent avec des véhicules à essence) qui finance depuis trente ans les divers abaissements du prix du diesel.

Le vrai, et pourrait-on dire, le seul problème est le suivant : pourquoi l'industrie pétrolière française, dont on a souvent l'occasion souvent de sécher les larmes tout en constatant les colossaux bénéfices, ne s'est pas adaptée à cette situation?

Un mot sur la production de l'essence et du diesel ; les données sont, sur ce point,. à la fois précises mais variables selon les experts. Suivant sa masse volumique, 1 tonne de pétrole brut représente entre 7 et 9,3 barils, puisque curieusement le pétrole n'est pas vendu au kilo mais au litre ! La moyenne mondiale se situe aux alentours de 7,6 barils par tonne de pétrole Arabian Light courant ; on en tire 22 % d'essence, 9 % de kérosène et 27 % de gazole ; selon l'Institut français du pétrole, c'est plutôt 12 % d'essence, 37 % de kérosène de diesel et de fuel léger et 47 % de fuel lourd. Bizarre m'enfin !
 
Le problème est que, à partir des années 80, quant la France a fait le choix du diesel de façon massive, les pétroliers, en bonne logique, auraient dû s'adapter et tenter d'augmenter la proportion de production du gazole par rapport à celle de l'essence. Ils n'en ont clairement rien fait pour des raisons qu'ils sont sans doute les seuls à connaître, mais qui sont probablement d'ordre financier. On peut penser que, pressentant la crise mondiale liée surtout à la montée des producteurs asiatiques qui raffinent leur essence et leur gazole à moindres coûts, ils ont préféré (comme Monsieur Mittal et pour les mêmes raisons) fermer les raffineries françaises pour en ouvrir ailleurs plutôt que d'investir en France pour modifier leurs productions.

Le plus bel exemple et la preuve évidente est la future raffinerie Total en Arabie Saoudite qui permettra non seulement des coûts bien moindres, mais surtout est un outil moderne et efficace, susceptible de faire varier le ratio de la production entre le gazole et essence. Pourquoi ne pas l'avoir fait en France puisque différents outils techniques permettent de modifier ce ratio ? L'outil le plus commode et le plus efficace est sans doute "l'hydrocraqueur" qui permet de faire plus de gazole qu'une raffinerie classique. Deux raffineries seulement en ont en France, celle de Gonfreville et celle de Lavera (qui produit deux fois moins de gazole que la première). Un hydrocraqueur qui permet d'augmenter le pourcentage de production du gazole coûte certes, dit-on, 600 millions d'euros, mais vu les profits de Total, un tel investissement n'apparaît pas considérable et l'Etat qui engloutit en vain des dizaines de milliards depuis trente ans aurait pu intervenir!

On se trouve, une fois de plus, en présence d'une absence totale de vision et de stratégie industrielles de la part de ces grands patrons, que le monde entier nous envierait, mais qui, apparemment, sont surtout attentifs à leurs propres rémunérations comme à celles de leurs actionnaires, surtout quand par ailleurs, comme toujours chez nous, c'est l'État qui crache au bassinet comme dans le présent cas, à travers la défiscalisation du gazole dont je n'ose même pas imaginer ce qu'elle a pu coûter à la France depuis 30 ans !

 

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