Faut-il que je
rappelle une fois de plus que je suis nullement spécialiste de certaines
des questions dont je parle mais que je me borne, à la différence de la plupart de nos
médias, à une simple consultation des organes et des documents spécialisés.
Commençons donc par
le plus simple et le plus évident : la France consomme chaque année,10 millions
de tonnes d'essence qu'elle produit en excès, et plus de 33 millions de tonnes de
gazole dont elle manque ; selon d'autres sources (l'Union française des
industries pétrolières, mais les ordres de grandeur sont, en gros, les mêmes),
en 2012, le gazole aurait représenté 80,1% des carburants consommés en France, ce
qui constitue un record. La chose est, en somme, assez normale puisqu'en 2012,
72,9 % des voitures particulières vendues en France étaient des modèles diesel
contre 55,2 % en moyenne en Europe de l'Ouest, seuls le Luxembourg et l'Irlande
devançant la France sur ce terrain.
Jusque-là, au fond
rien d'anormal, si ce n'est que cette situation dure depuis trente ans et que la
France est totalement incapable de produire de telles quantités de gazole et que,
pire encore, elle doit en importer des quantités de plus en plus considérables.
Y-a-t-il un pilote dans l'avion ? Entre
2002 et 2010, ses importations françaises de gazole (en valeur) ont été
multipliées par plus de trois, tandis qu'en revanche, elle persiste à produire trop d'essence et doit en exporter.
Toutefois, en valeur (ce qui est une autre dimension très importante du
problème), le déficit des échanges est très inégal ! La valeur des importations
de gazole, qui était de 8,9 milliards d'euros en 2010, serait proche de 13 milliards
pour 2011, tandis que les exportations d'essence, pour la même année 2011, ne
seraient que de 2,8 milliards. Notre déficit énergétique est là !
Nous nous trouvons
ainsi en face d'une situation absurde, puisque, dans le même temps où nous importons du gazole en quantités énormes, nous fermons
des raffineries avec tous les problèmes sociaux qui en découlent (cette
situation étant illustrée par le cas de Petroplus), ce qui amène à une
réflexion sur ce problème, réflexion que nos compagnies pétrolières ont
apparemment négligé ou refusé de prendre en compte – en fonction de leurs
intérêts propres bien entendu.
Commençons assez
logiquement la question du prix de revient et d'achat de ces produits. Hors-taxes,
le gazole n'est pas moins cher que l'essence comme on pourrait le croire. Il est même un peu plus cher
puisque sur le marché de Rotterdam, il coûte 64 centimes en moyenne contre 61 pour
l'essence sans plomb 95. On pourrait même dire que ce coût relativement moins
élevé de l'essence est largement annulé par le fait que la consommation de
diesel est moindre, puisque sur un même trajet automobile et à motorisation
équivalente, on consomme 15 % de moins de gazole que d'essence.
Comme je le disais
précédemment, la France est donc obligée d'acheter à l'étranger du gazole et
d'y vendre, sans doute à perte, ses surplus d'essence. Jusque vers 2006, ce trafic se faisait
essentiellement en direction des États-Unis ; les navires transportant, les uns
notre essence vers les États-Unis, les autres le gazole américain vers la
France, devaient se croiser au milieu de l'Atlantique, à moins qu'on ait eu
l'idée ingénieuse de charger en gazole américain au retour, les navires une fois vidés de
leur essence française. Depuis 2006, ce commerce transatlantique s'est
étiolé, la consommation d'essence américaine s'étant réduite et les échanges se
faisant désormais essentiellement avec la Russie et l'Asie pour le gazole que
nous importons, tandis que l'Europe constitue le principal client à
l'exportation notre essence qui est achetée essentiellement par les Pays-Bas, le
Royaume-Uni et la Belgique.
Il faut évidemment
mettre en évidence l'explication historique d'une situation aussi absurde qui a
conduit à multiplier par trois en gros nos importations de gazole et par deux
nos exportations d'essence, sans que nous ayons jamais songé à changer les productions
de nos raffineries, alors que nous développions, d'une façon totalement
artificielle et volontariste au départ, la production française de véhicules
diesel.
Les choses remontent
en fait à la décision du général De Gaulle sur le nucléaire français qui a conduit, en
particulier, à promouvoir massivement le chauffage électrique en France et par
là a diminué les besoins en fioul domestique. Le choix du moteur diesel dans la
suite allait dans le même sens. Le grand propagandiste en fut Jacques Calvet,
le patron du groupe PSA, partisan si enthousiaste du gazole et adversaire si
résolu de la publication de ses propres augmentations de salaires. il joua avec
assez d'adresse sur le chauvinisme français qui est une réaction qui ne fait
jamais défaut chez nous, en affirmant que nous étions "les meilleurs du
monde en matière de diesel". L'industrie automobile française s'est donc
employée, à partir des années 80-90, à améliorer avec succès les moteurs
diesel, ce qui d'ailleurs conduisait à se gagner le puissant lobby des transporteurs
routiers si prompts, pour appuyer leurs revendications, à bloquer les routes. Cette
victoire du lobby routier a été marquée en 2007 lorsque l'Union européenne a
accepté le principe du "gazole professionnel", pratiqué par la France,
qui permettait aux transporteurs de se faire rembourser une partie de la taxe
sur les produits pétroliers, à raison de cinq euros par hectolitre.
Les prix très bas du
gazole en France résultent donc purement et simplement de la défiscalisation, ce qui veut
dire, en d'autres termes, que c'est l'Etat c'est-à-dire l'ensemble des citoyens
français (y compris ceux qui roulent avec des véhicules à essence) qui finance
depuis trente ans les divers abaissements du prix du diesel.
Le vrai, et
pourrait-on dire, le seul problème est le suivant : pourquoi l'industrie
pétrolière française, dont on a souvent l'occasion souvent de sécher les larmes
tout en constatant les colossaux bénéfices, ne s'est pas adaptée à cette
situation?
Un mot sur la
production de l'essence et du diesel ; les données sont, sur ce point,. à la
fois précises mais variables selon les experts. Suivant sa masse volumique, 1 tonne
de pétrole brut représente entre 7 et 9,3 barils, puisque curieusement le pétrole
n'est pas vendu au kilo mais au litre ! La moyenne mondiale se situe aux
alentours de 7,6 barils par tonne de pétrole Arabian Light courant ; on en tire
22 % d'essence, 9 % de kérosène et 27 % de gazole ; selon l'Institut français du
pétrole, c'est plutôt 12 % d'essence, 37 % de kérosène de diesel et de fuel léger
et 47 % de fuel lourd. Bizarre m'enfin !
Le problème est que, à
partir des années 80, quant la France a fait le choix du diesel de façon massive,
les pétroliers, en bonne logique, auraient dû s'adapter et tenter d'augmenter
la proportion de production du gazole par rapport à celle de l'essence. Ils
n'en ont clairement rien fait pour des raisons qu'ils sont sans doute les seuls
à connaître, mais qui sont probablement d'ordre financier. On peut
penser que, pressentant la crise mondiale liée surtout à la montée des
producteurs asiatiques qui raffinent leur essence et leur gazole à moindres
coûts, ils ont préféré (comme Monsieur Mittal et pour les mêmes raisons) fermer
les raffineries françaises pour en ouvrir ailleurs plutôt que d'investir en
France pour modifier leurs productions.
Le plus bel exemple et
la preuve évidente est la future raffinerie Total en Arabie Saoudite qui
permettra non seulement des coûts bien moindres, mais surtout est un outil moderne
et efficace, susceptible de faire varier le ratio de la production entre le gazole
et essence. Pourquoi ne pas l'avoir fait en France puisque différents outils
techniques permettent de modifier ce ratio ? L'outil le plus commode et le plus
efficace est sans doute "l'hydrocraqueur" qui permet de faire plus de
gazole qu'une raffinerie classique. Deux raffineries seulement en ont en France,
celle de Gonfreville et celle de Lavera (qui produit deux fois moins de gazole
que la première). Un hydrocraqueur qui permet d'augmenter le pourcentage de
production du gazole coûte certes, dit-on, 600 millions d'euros, mais vu les profits de
Total, un tel investissement n'apparaît pas considérable et l'Etat qui engloutit en vain des dizaines de milliards depuis trente ans aurait pu intervenir!
On se trouve, une
fois de plus, en présence d'une absence totale de vision et de stratégie
industrielles de la part de ces grands patrons, que le monde entier nous envierait,
mais qui, apparemment, sont surtout attentifs à leurs propres rémunérations
comme à celles de leurs actionnaires, surtout quand par ailleurs, comme toujours
chez nous, c'est l'État qui crache au bassinet comme dans le présent cas, à
travers la défiscalisation du gazole dont je n'ose même pas imaginer ce qu'elle
a pu coûter à la France depuis 30 ans !
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