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jeudi 18 avril 2013

A avoir vu ou à voir à propos d'Haïti : "Assistance mortelle" de Raoul Peck sur Arte, mardi 16 avril 2013.


Avant d'aborder les questions que pose ce film, il faut dire quelques mots sur Raoul Peck dont la vie, la carrière et la personnalité sont fort intéressantes, mais sans doute mal connues.

Raoul Peck est né en 1953 à Port-au-Prince, mais son père, ingénieur agronome, quitte Haïti en 1961 avec le premier contingent d'Haïtiens qui vont au Congo ex-belge, pour compenser le refus de la Belgique d'établir, avec son ancienne colonie, des relations de coopération du même type que celles que la France a instaurées.

Curieusement, il en résulte qu'un jeune linguiste né à Liège, André Marcel D'Ans, fera, au Congo, la première thèse française sur le créole haïtien, en ayant, parmi ses principaux témoins haïtiens, la gouvernante de Madame Sylvain, sœur de Suzanne Sylvain, qui en 1936 avait elle-même été l'auteur d'un ouvrage demeuré classique sur ce même créole.

En 1963, le jeune Raoul Peck rejoint son père au Congo avec le reste de sa famille ; ses parents y resteront 28 ans ; il poursuivra lui ses études aux États-Unis, en France puis en Allemagne où il va acquérir une formation d'ingénieur et d'économiste à l'université de Berlin. Militant de gauche, il rêve de retourner en Haïti pour combattre la dictature de Duvalier. Il change d'orientation professionnelle dans les années 80 pour devenir journaliste photographe et cinéaste et réaliser plusieurs court-métrages documentaires en Allemagne. Après une carrière, marquée par diverses productions cinématographiques remarquées, tant sur Cuba que sur l'Allemagne, il obtient, en 1994, pour "L'homme sur les quais" le prix du meilleur court-métrage lors du Festival du cinéma africain de Milan ainsi que divers autres prix qui le conduiront, dans les années 90, à enseigner la mise en scène et l'écriture de scénario à l'université de New York.

C'est alors que s'ouvre pour lui une carrière politique car, sous la présidence d'Aristide, le Premier Ministre Rosny Smarth lui propose, en 1996, le poste de ministre de la culture. Ce séjour ministériel sera de courte durée puisque, en 1997, Rosny Smarth démissionne, devant l'évolution du régime d'Aristide, avec cinq de ses ministres, don R. Peck.

En 2000, R. Peck commence une collaboration avec la chaîne européenne Arte et c'est sans doute dans le prolongement de ces liens que se situe le film qui a été projeté mardi 16 avril 2013 à 20h50 sur cette même chaîne.

Le titre, un peu ambigu et paradoxal au départ, vise essentiellement à dénoncer l'inefficacité et la gabegie de l'assistance "humanitaire" internationale en Haïti, alors qu'un grand mouvement de solidarité s'était dessiné dans le monde après le gigantesque séisme du 12 janvier 2010 qu'on a nommé en créole : « Goudou goudou » et qui a fait plus de 200.000 victimes. Il  est impossible d'entrer dans le détail du film lui-même qui est remarquable et illustre surtout le désastre de cette prétendue coopération ; je me limiterai donc ici à quelques remarques.

La première est évidemment la mise en cause des États-Unis et en particulier celle de Bill Clinton, dont l'image, au cours du film, ne cesse de se dégrader jusqu'à ce que, vers la fin, lorsqu'est établi le bilan du désastre, vienne s'inscrire sucessivement, sous son image, comme un générique de fin, la foule des titres de président ou de coordonnateur qui ont été les siens durant ces deux années. Il est clairement dit, pour une fois, que ce sont les États-Unis qui ont choisi et fait élire Michel Martelly comme président de la République, au terme de processus électoraux dont il suffit de dire que, si le président élu a bien obtenu plus de 60 % des suffrages, moins du quart des électeurs ont voté et que les conditions du scrutin n'ont pas été d'une parfaite régularité.

Le thème dominant du film est que la coopération, prétendument humanitaire, fonctionne très largement sans relation réelle avec les Haïtiens et parfois même en opposition avec ce qu'ils pourraient attendre ou désirer. La dénonciation de la corruption, des plus banales, est un moyen commode et sûr de faire en sorte qu'une bonne partie des crédits de l'aide internationale retourne, en fait, dans les pays donateurs, si elle les a jamais quittés. Tout cela est parfaitement connu et on dit même que ce sont les Suisses qui détiennent tous les records en la matière, en récupérant plus de 85 % des crédits qu'ils peuvent apporter au titre des diverses aides.

Tout cela n'est pas très nouveau mais ne se dit guère. Or actuellement, en Haïti même, on observe à travers la presse quotidienne un changement d'attitude très sensible à l'égard des États-Unis, comme envers une présidence de la République et un gouvernement qui n'en sont que l'émanation comme chacun le sait.

Les passages les plus intéressants du film, car il y a là des témoignages inédits et rares, sont les interviews que Raoul Peck réalise aussi bien avec l'ancien président Préval qu'avec son Premier Ministre, Jean-Max Bellerive. Tous deux s'expriment très librement ; Préval explique même comment on a voulu lui faire le coup que les Etats-Unis avaient déjà fait à Aristide en l'enlevant sous prétexte de le protéger ; sont aussi filmées des scènes étonnantes comme celle où, durant une séance tout à fait officielle, au moment où Bill Clinton monte sur l'estrade pour prendre la parole, le Président Préval se lève et quitte ostensiblement sa place et la salle. Tout cela illustre bien le climat dans lequel se déroule cette fameuse "coopération humanitaire" qui est, sans cesse, marquée par de constants différents et accrochages entre les O.N.G. et le gouvernement haïtien qui souvent ne brille pas ni par l'initiative, ni par l'honnêteté.

Le témoignage le plus copieux et qui m'a paru le plus intéressant est celui de Jean-Max Bellerive qui s'exprime très longuement, souvent avec franchise et beaucoup de détails ; il rappelle que, dans un contexte où la notion même d'O.N.G. est extrêmement floue, on en a compté un moment jusqu'à 4000 dans le pays ! Dans ce même blog en 2010, j'ai eu ainsi l'occasion de m'interroger sur des expéditions humanitaires françaises qui prétendaient amener en Haïti des psychologues (une de nos spécialités nationales avec le sureffectif administratif et le steak-frites) pour soigner les malheureuses victimes de la catastrophe. Tous ces braves gens devaient ignorer sans doute que la grande majorité des Haïtiens ne sont francophones que sur le papier ou dans les statistiques démo-linguistiques québécoises et qu'il doit y avoir en France un nombre très réduit de psychologues assez familiers avec le créole haïtien pour pouvoir en user dans leurs thérapies.

Pour conclure sur un aspect qui pourrait sembler mineur, j'ai été personnellement frappé par la très faible présence de la France dans ce film ; à peine entrevoit-on un moment (il disparaît aussitôt) l'ambassadeur de France, Didier Le Bret (mais qui ne "grogne" pas ; petite blague pour ceux qui, comme moi, savent par coeur, depuis l'enfance, Cyrano de Bergerac!) ; il avait pourtant demandé à être nommé en Haïti et son séjour là-bas a dû, à mon avis, fortement le décevoir.

Sur le plan linguistique, il est curieux de constater que dans ce film on entend à peu près jamais de français (une des deux langues du pays) enregistré en Haïti ; l'essentiel des propos enregistrés est soit en anglo-américain, soit en créole ; encore faut-il souligner que, si je me souviens bien, celles et ceux qui s'expriment le plus fréquemment en français me paraissent être Belges ou Québécois. Il y a là, une fois de plus, les signes de la vieille stratégie américaine d'éviction du français que la politique française ne fait que favoriser tout en la dénonçant !

Il serait bon qu'un tel film, avec les commentaires adéquats, soit projeté aux diplomates qui, au Quai d'Orsay, ont la charge d'Haïti, comme aux décideurs de l'OIF et de l'AUF, car cela pourrait peut-être inciter tout ce petit monde à avoir enfin, puisque, après tout c'est là leur job, une politique un peu mieux adaptée et un peu plus réaliste.

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