J'aime bien le
titre du livre de Nicolas Beau et Jacques-Marie Bourget qui vient de
paraître chez Fayard : Le vilain petit
Qatar. Il est assurément bien trouvé, mais je lui préfère néanmoins celui
que j'ai donné à ce post, même s'il est un peu pédant. L'épithète "bifrons" était celle que les
Romains donnaient au dieu Janus qui, vous vous en souvenez peut-être, avait
deux visages. Je crois assurément que si le Qatar est incontestablement petit,
peut-être vilain, il est en tout cas, assurément, "bifrons" et en
joue de façon systématique et, il faut bien le dire, assez réussie, pour
l'instant du moins.
On l'a dit et
écrit cent fois déjà, le Qatar est grand comme la Corse et il a, en gros, la
population ; aux alentours de 200 000 habitants pour ne prendre en compte
que ceux qui sont d'authentiques nationaux, les deux millions n'étant atteints
que par l'adjonction 1.600.000 émigrés dont la grande majorité, les plus
humbles, sont dans une condition qui est proche de celle de l'esclavage. En
revanche ses richesses pétrolières et surtout gazières lui garantissent, selon
les experts, le maintien de la manne financière dont il bénéficie pour cent
soixante dix ans ! Le Qatar n'est dépassé, dans le classement des pays les plus
riches, que par le Luxembourg qui assurément n'a pas de gaz, mais beaucoup de
sociétés fort occupée à l''évasion et à la fraude fiscales.
Cela dit l'un et
l'autre de ces leaders de la richesse mondiale pourraient être menacés dans
leurs œuvres vives financières. Le Luxembourg par une réforme enfin sérieuse de
la finance internationale qui assurément prendra beaucoup de temps et ne
parviendra pas nécessairement son terme. Le Qatar par le fait que le fabuleux
trésor gazier de North Dôme qu'il partage avec l'Iran, en dépit de son
immensité et de sa richesse, est une ressource, sinon fragile du moins menacée,
en raison de la folie belliqueuse de l'autre co-exploitant, l'Iran. En effet,
si les événements liés aux ambitions nucléaires de l'Iran entraînaient des
réactions violentes des États-Unis, probablement via Israël, les menaces sur le
Golfe Persique et une éventuelle fermeture du détroit d'Ormuz pourraient, du
jour au lendemain, interrompre les activités et les exportations gazières dans
cette région, suspendant par là même la manne financière dont bénéficie le
Qatar.
Contre toute
attente, le Qatar a donc deux ennemis, bien différents, avec lesquels il vit
pourtant en relativement bonne intelligence surtout le premier : l'Iran et
l'Arabie Saoudite. Il est clair que la présence de ce puissant voisin qu'est
l'Arabie saoudite est la menace la plus réelle. Une bonne partie de la
politique du Qatar vise d'abord à s'assurer contre tout risque de ce côté-là.
C'est probablement ce qui a conduit le Qatar accueillir deux bases américaines
sur son territoire et même, semble-t-il, à assumer une bonne partie du coût de
leur fonctionnement.
Il y a également
une autre menace plus lointaine et d'un tout autre ordre. Elle tient à
l'exploitation de nouvelles ressources pétrolières ou gazières ; on pourrait même
dire que le principal ennemi, sur le plan économique, est pour le Qatar le gaz
de schiste qui a déjà rendu les Américains quasi autarciques en matière
d'énergie et dont l'exploitation ne peut qu'aller croissant malgré les cris des
écologistes. Par ailleurs l'Australie va développer considérablement, dans les
années à venir, ses infrastructures en matière de production gazière et
concurrencer de plus en plus le Qatar en Asie. Dès lors, le principal client du
Qatar pour son gaz ne peut être que l'Europe et il ne peut l'y acheminer
facilement, comme il pourrait le faire, si l'Arabie Saoudite lui permettait
d'établir des gazoducs sur son territoire, ce que refuse bien évidemment ce grand
méchant voisin au gentil petit Qatar!
Il faut bien
tout de même que j'en vienne à justifier cette insolite épithète latine dont
j'ai affublé ce pauvre Qatar. On peut dire que les relations que le Qatar
entretient avec les États-Unis illustrent parfaitement le double jeu du Qatar.
En effet des relations bilatérales, comme on dit chez les diplomates, sont bonnes
en apparence et les deux Etats ont même un pacte de défense. Pourtant, en même
temps, le Qatar soutient, un peu partout, les Frères musulmans, ce qui est un
peu étonnant vu la guerre que les États-Unis font au terrorisme. Ce double jeu
est apparu nettement, comme j'ai eu l'occasion de le préciser dans l'un de mes
posts intitulés "Honni soit qui Mali pense", à travers l'aide que le
Qatar, sous couvert d'action humanitaire, a apporté aux djihadistes du
Nord-Mali pourtant baptisés terroristes par la France et les USA.
Les choses sont toutefois
rendues très compliquées par le fait que, non seulement le Qatar soutient des
mouvements islamistes réputés terroristes, mais, en même temps, garde, ici ou
là, des objectifs nationaux spécifiques qui l'ont conduit, par exemple, en
Libye, à apporter son aide à la France et à la Grande-Bretagne dans la lutte contre
le colonel Kadhafi. Il en est de même en Syrie où le Qatar soutient et arme les
mouvements contre Assad, alors que naturellement l'Arabie Saoudite favorise le
régime en place. La chose tient, dans le premier cas, à ce que le Qatar avait
fait des investissements importants et entendait les protéger et même les faire
fructifier, quelle que soit l'issue du conflit. Il n'a donc pas mis tous ses
oeufs dans le même panierr, comme souvent ("bifrons"). En Syrie, les choses se présentent un peu
différemment, même si le Qatar souhaite le départ d'Assad dans l'espoir d'installer là-bas aussi les
Frères musulmans.
Le double jeu
qatari est illustré parfaitement aussi dans leur comportement à l'égard du
football. Il est bien évident que ce sport n'est en rien enraciné dans la
culture du Qatar; il y a là, sous couvert d'intérêt sportif, des ambitions à la
fois financières et géopolitiques comme toujours avec le Qatar. L'affaire s'est
jouée en particulier à travers les "influences" individuelles sur des personnages que ne tourmentent pas exagérément la déontologie et la question
des conflits d'intérêts. C'est ainsi que, après Zidane, Michel Platini, membre
du comité exécutif de la FIFA, qui a soutenu l'étrange projet du Qatar pour
l'organisation de la Coupe du monde 2022, a vu son fils nommé conseiller
juridique de Qatar Sports Investment ....par le plus grand et les plus heureux des
hasards. De la même façon, le gendre du roi d'Espagne, accusé dans son pays de détournement
de fonds publics, vient de se voir offrir la proposition d'être le coach de
l'équipe de handball du Qatar. Tout cela permet naturellement de favoriser des
décisions qui pourraient être discutables ou incertaines, car les traditions sportives, tant
pour le football que pour le handball, ne sont pas totalement ancrées dans la
culture de cet émirat.
Le vrai sport auquel
devrait s'intéresser le Qatar est plutôt le billard, car il y possède
manifestement des dispositions pour jouer à la fois sur plusieurs bandes.
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