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vendredi 26 avril 2013

Qatar "bifrons" (1)


J'aime bien le titre du livre de Nicolas Beau et Jacques-Marie Bourget qui vient de paraître chez Fayard : Le vilain petit Qatar. Il est assurément bien trouvé, mais je lui préfère néanmoins celui que j'ai donné à ce post, même s'il est un peu pédant. L'épithète "bifrons" était celle que les Romains donnaient au dieu Janus qui, vous vous en souvenez peut-être, avait deux visages. Je crois assurément que si le Qatar est incontestablement petit, peut-être vilain, il est en tout cas, assurément, "bifrons" et en joue de façon systématique et, il faut bien le dire, assez réussie, pour l'instant du moins.

On l'a dit et écrit cent fois déjà, le Qatar est grand comme la Corse et il a, en gros, la population ; aux alentours de 200 000 habitants pour ne prendre en compte que ceux qui sont d'authentiques nationaux, les deux millions n'étant atteints que par l'adjonction 1.600.000 émigrés dont la grande majorité, les plus humbles, sont dans une condition qui est proche de celle de l'esclavage. En revanche ses richesses pétrolières et surtout gazières lui garantissent, selon les experts, le maintien de la manne financière dont il bénéficie pour cent soixante dix ans ! Le Qatar n'est dépassé, dans le classement des pays les plus riches, que par le Luxembourg qui assurément n'a pas de gaz, mais beaucoup de sociétés fort occupée à l''évasion et à la fraude fiscales.

Cela dit l'un et l'autre de ces leaders de la richesse mondiale pourraient être menacés dans leurs œuvres vives financières. Le Luxembourg par une réforme enfin sérieuse de la finance internationale qui assurément prendra beaucoup de temps et ne parviendra pas nécessairement son terme. Le Qatar par le fait que le fabuleux trésor gazier de North Dôme qu'il partage avec l'Iran, en dépit de son immensité et de sa richesse, est une ressource, sinon fragile du moins menacée, en raison de la folie belliqueuse de l'autre co-exploitant, l'Iran. En effet, si les événements liés aux ambitions nucléaires de l'Iran entraînaient des réactions violentes des États-Unis, probablement via Israël, les menaces sur le Golfe Persique et une éventuelle fermeture du détroit d'Ormuz pourraient, du jour au lendemain, interrompre les activités et les exportations gazières dans cette région, suspendant par là même la manne financière dont bénéficie le Qatar.

Contre toute attente, le Qatar a donc deux ennemis, bien différents, avec lesquels il vit pourtant en relativement bonne intelligence surtout le premier : l'Iran et l'Arabie Saoudite. Il est clair que la présence de ce puissant voisin qu'est l'Arabie saoudite est la menace la plus réelle. Une bonne partie de la politique du Qatar vise d'abord à s'assurer contre tout risque de ce côté-là. C'est probablement ce qui a conduit le Qatar accueillir deux bases américaines sur son territoire et même, semble-t-il, à assumer une bonne partie du coût de leur fonctionnement.

Il y a également une autre menace plus lointaine et d'un tout autre ordre. Elle tient à l'exploitation de nouvelles ressources pétrolières ou gazières ; on pourrait même dire que le principal ennemi, sur le plan économique, est pour le Qatar le gaz de schiste qui a déjà rendu les Américains quasi autarciques en matière d'énergie et dont l'exploitation ne peut qu'aller croissant malgré les cris des écologistes. Par ailleurs l'Australie va développer considérablement, dans les années à venir, ses infrastructures en matière de production gazière et concurrencer de plus en plus le Qatar en Asie. Dès lors, le principal client du Qatar pour son gaz ne peut être que l'Europe et il ne peut l'y acheminer facilement, comme il pourrait le faire, si l'Arabie Saoudite lui permettait d'établir des gazoducs sur son territoire, ce que refuse bien évidemment ce grand méchant voisin au gentil petit Qatar!

Il faut bien tout de même que j'en vienne à justifier cette insolite épithète latine dont j'ai affublé ce pauvre Qatar. On peut dire que les relations que le Qatar entretient avec les États-Unis illustrent parfaitement le double jeu du Qatar. En effet des relations bilatérales, comme on dit chez les diplomates, sont bonnes en apparence et les deux Etats ont même un pacte de défense. Pourtant, en même temps, le Qatar soutient, un peu partout, les Frères musulmans, ce qui est un peu étonnant vu la guerre que les États-Unis font au terrorisme. Ce double jeu est apparu nettement, comme j'ai eu l'occasion de le préciser dans l'un de mes posts intitulés "Honni soit qui Mali pense", à travers l'aide que le Qatar, sous couvert d'action humanitaire, a apporté aux djihadistes du Nord-Mali pourtant baptisés terroristes par la France et les USA.

Les choses sont toutefois rendues très compliquées par le fait que, non seulement le Qatar soutient des mouvements islamistes réputés terroristes, mais, en même temps, garde, ici ou là, des objectifs nationaux spécifiques qui l'ont conduit, par exemple, en Libye, à apporter son aide à la France et à la Grande-Bretagne dans la lutte contre le colonel Kadhafi. Il en est de même en Syrie où le Qatar soutient et arme les mouvements contre Assad, alors que naturellement l'Arabie Saoudite favorise le régime en place. La chose tient, dans le premier cas, à ce que le Qatar avait fait des investissements importants et entendait les protéger et même les faire fructifier, quelle que soit l'issue du conflit. Il n'a donc pas mis tous ses oeufs dans le même panierr, comme souvent ("bifrons"). En Syrie, les choses se présentent un peu différemment, même si le Qatar souhaite le départ d'Assad  dans l'espoir d'installer là-bas aussi les Frères musulmans.

Le double jeu qatari est illustré parfaitement aussi dans leur comportement à l'égard du football. Il est bien évident que ce sport n'est en rien enraciné dans la culture du Qatar; il y a là, sous couvert d'intérêt sportif, des ambitions à la fois financières et géopolitiques comme toujours avec le Qatar. L'affaire s'est jouée en particulier à travers les "influences" individuelles sur des personnages que ne tourmentent pas exagérément la déontologie et la question des conflits d'intérêts. C'est ainsi que, après Zidane, Michel Platini, membre du comité exécutif de la FIFA, qui a soutenu l'étrange projet du Qatar pour l'organisation de la Coupe du monde 2022, a vu son fils nommé conseiller juridique de Qatar Sports Investment ....par le plus grand et les plus heureux des hasards. De la même façon, le gendre du roi d'Espagne, accusé dans son pays de détournement de fonds publics, vient de se voir offrir la proposition d'être le coach de l'équipe de handball du Qatar. Tout cela permet naturellement de favoriser des décisions qui pourraient être discutables ou incertaines, car les traditions sportives, tant pour le football que pour le handball, ne sont pas totalement ancrées dans la culture de cet émirat.

Le vrai sport auquel devrait s'intéresser le Qatar est plutôt le billard, car il y possède manifestement des dispositions pour jouer à la fois sur plusieurs bandes.

(A suivre)

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