Je connais trop mal la géographie douanière de la France, qui, en outre, a considérablement évolué ces dernières décennies, pour affirmer que la particularité que je vais décrire ici, n'existe pas en d'autres régions que la Haute Savoie.
Cette région m'a
toujours été familière, dans la mesure où ma famille maternelle est d'origine
savoyarde ; j'ai donc, dès ma plus tendre enfance, entendu parler de la "zône"
et constaté la présence d'une double douane, sans savoir exactement ce qu'était
la première, tandis que la seconde m'était plus familière puisque je savais
qu'elle se trouvait entre la France et la Suisse, Genève n'étant guère séparée
que par cette frontière de Gaillard et d'Annemasse, ville où je me rendais
souvent dans ma famille.
Je ne vous ferai pas ici
l'histoire de ces fameuses "zônes" car il y en a eu plusieurs,
successives, des "grandes" et des "petites" ; l'affaire
remonte en réalité au traité de Vienne en 1815 (!), moment où Genève réclame
l'élargissement de son territoire du côté français, la ville se jugeant coincée
entre les montagnes du Jura et du Salève et le lac Léman qu'on dit souvent
improprement "de Genève". Genève n'obtient toutefois que le recul des
douanes du côté français et la création de « zones franches où s'applique, par
compromis, un régime douanier particulier. La cession de la Savoie à la France,
en 1860, par le roi de Sardaigne, Victor-Emmanuel II, en remerciement du rôle
des Français dans la guerre austro-sarde en 1859, va changer les choses et faire
commencer une succession de remaniements de ces zones, avec toutefois une
relative stabilité jusqu'en 1914. La guerre amène une suspension de la "zône"
qui sera rétablie ensuite avec le début de conflits interminables entre Genève
et la France, causés, au départ, par le désir du président Poincaré d'abolir le
régime de ces zônes franches auxquelles les Suisses sont eux très attachés. On
va aller désormais, durant plus de dix ans, de conférences en tribunaux,
jusqu'à la Société des Nations et au Tribunal International de la Haye pour
arriver en janvier 1933 à la reconnaissance d'une « petite zone", la vraie
frontière douanière entre la France et la Suisse étant doublée, à quelques
kilomètres du côté français, par un autre cordon douanier marquant la limite de
la "zône" avec le reste du territoire français.
Aux alentours
d'Annemasse, la limite de la "zône" passait par Ville-la-Grand et Ambilly
; les spécificités administratives de cette petite "zône" faisaient
qu'y étaient exonérés de droits de douane un certain nombre de produits comme
le sucre, le chocolat, le beurre, des fromages mais aussi et surtout les
automobiles qu'on reconnaissait à leurs plaques rouges, rappelant celles des
Français expatriés achetant une voiture hors TVA en France durant leurs congés.
Les postes de douane
de la "zône" ont été supprimés, je crois, en 1984 et d'autres
réformes sont intervenues en 1992, mais tout cela est d'autant plus confus que
ça ne correspondait plus à rien depuis longtemps ; comme je ne vais plus guère
dans cette région, je n'ai pas réussi à éclairer ce point par des témoignages.
En revanche ces
particularités douanières de la "zône", portion du territoire
français exemptée de droits de douane pour certaines denrées, me rappellent
nombre de souvenirs d'enfance. La maison de mon oncle se trouvant à quelques
mètres de la "guérite" de la zône, j'allais faire la plupart des
courses quotidiennes de l'autre côté du petit pont qui franchissait la voie du
chemin de fer, non plus "sur" Annemasse mais "sur" Ambilly
donc "en zône", où nombre de marchandises et en particulier le beurre,
qui venait du Danemark, coûtait beaucoup moins cher que de l'autre côté du pont où les rares épiciers ne faisaient guère d'affaires
!
Ce qui me frappait le
plus toutefois était la "guérite" placée à l'entrée du pont qui
abritait, en permanence, un douanier qui, par temps froid, se réfugiait dans
son abri où régnait la douce chaleur d'un poële et qui, par beau temps, sortait
sa chaise devant la porte pour contempler de plus près les passants et les
voitures, sans jamais demander quoi que ce soit à qui que ce soit. On racontait,
par plaisanterie, dans le pays, que, pour devenir douanier, il fallait passer
un examen spécial qui consistait à rester assis six heures durant sur une
chaise sans en bouger. Il est exact que l'activité de ces fonctionnaires
semblait se résumer à cela. Il faut reconnaître (et j'en connaissais quelques-uns)
que nombre d'entre eux avaient carrément un second métier et que, lorsque leur
temps de contemplation, était terminé, ils se faisaient plombiers, électriciens
ou allaient travailler dans leur jardin. Non loin de là, sur la nationale vers
Genève, à ce que l'on appelait "Annemasse route", il y avait un poste
de zône important se trouvaient plusieurs douaniers, dont l'activité est tout
aussi modeste, puisque la plupart des véhicules et des transports qui
arrivaient de la vraie frontière suisse, à quelques kilomètres, ne jugeaient,
pour la plupart, pas utile de s'arrêter ni même de ralentir, sauf pour saluer de
la main, par la portière, un gabelou connu. Toutefois, comme ces douaniers
étaient là en nombre, ils pouvaient au moins faire la conversation entre eux!
Tout cela a duré, à
ma connaissance, un bon demi-siècle et ne servait évidemment rigoureusement à
rien en coûtant fort cher. En effet, non seulement les postes de douane de la "zone" n'avaient
aucune activité, mais, en outre, les gens du pays connaissaient tous, pour
passer en Suisse, les petites routes où il n'y avait pas de poste "de
zône" et qui permettaient donc d'aller à Genève depuis Annemasse sans
avoir à rencontrer quelque douanier que ce soit à la limite de la
"zône".
Je m'interroge
d'ailleurs (et peut-être plus encore) sur l'activité générale des services des
douanes, dans la mesure où, dans tous les voyages récents que j'ai faits en
Europe et même en passant de la France à la Suisse qui, sauf erreur de ma part,
n'est pas membre de la communauté européenne, on ne voit plus guère de douaniers
dans les postes de douane aux limites du territoire, même s'il ne me semble pas
que le nombre des fonctionnaires de la douane ait été sensiblement réduit depuis
l'émergence des nouvelles institutions. On est passé ainsi, je crois, de 20.000
(environ avant les accords européens) à 18.226 en 2009, ce qui n'est pas très
significatif!
1 commentaire:
Je suis allé consulter l'article de Wikpédia sur le sujet. Tous ces imbroglios laissés par l'histoire sont fascinants.
On parle de "confettis de l'Empire colonial". On pourrait de même parler de confettis de l'Histoire.
Merci.
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