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samedi 13 avril 2013

La France éternelle (2): Territoires douanier et zônien.




Je connais trop mal la géographie douanière de la France, qui, en outre, a considérablement évolué ces dernières décennies, pour affirmer que la particularité que je vais décrire ici, n'existe pas en d'autres régions que la Haute Savoie.

Cette région m'a toujours été familière, dans la mesure où ma famille maternelle est d'origine savoyarde ; j'ai donc, dès ma plus tendre enfance, entendu parler de la "zône" et constaté la présence d'une double douane, sans savoir exactement ce qu'était la première, tandis que la seconde m'était plus familière puisque je savais qu'elle se trouvait entre la France et la Suisse, Genève n'étant guère séparée que par cette frontière de Gaillard et d'Annemasse, ville où je me rendais souvent dans ma famille.

Je ne vous ferai pas ici l'histoire de ces fameuses "zônes" car il y en a eu plusieurs, successives, des "grandes" et des "petites" ; l'affaire remonte en réalité au traité de Vienne en 1815 (!), moment où Genève réclame l'élargissement de son territoire du côté français, la ville se jugeant coincée entre les montagnes du Jura et du Salève et le lac Léman qu'on dit souvent improprement "de Genève". Genève n'obtient toutefois que le recul des douanes du côté français et la création de « zones franches où s'applique, par compromis, un régime douanier particulier. La cession de la Savoie à la France, en 1860, par le roi de Sardaigne, Victor-Emmanuel II, en remerciement du rôle des Français dans la guerre austro-sarde en 1859, va changer les choses et faire commencer une succession de remaniements de ces zones, avec toutefois une relative stabilité jusqu'en 1914. La guerre amène une suspension de la "zône" qui sera rétablie ensuite avec le début de conflits interminables entre Genève et la France, causés, au départ, par le désir du président Poincaré d'abolir le régime de ces zônes franches auxquelles les Suisses sont eux très attachés. On va aller désormais, durant plus de dix ans, de conférences en tribunaux, jusqu'à la Société des Nations et au Tribunal International de la Haye pour arriver en janvier 1933 à la reconnaissance d'une « petite zone", la vraie frontière douanière entre la France et la Suisse étant doublée, à quelques kilomètres du côté français, par un autre cordon douanier marquant la limite de la "zône" avec le reste du territoire français.

Aux alentours d'Annemasse, la limite de la "zône" passait par Ville-la-Grand et Ambilly ; les spécificités administratives de cette petite "zône" faisaient qu'y étaient exonérés de droits de douane un certain nombre de produits comme le sucre, le chocolat, le beurre, des fromages mais aussi et surtout les automobiles qu'on reconnaissait à leurs plaques rouges, rappelant celles des Français expatriés achetant une voiture hors TVA en France durant leurs congés.

Les postes de douane de la "zône" ont été supprimés, je crois, en 1984 et d'autres réformes sont intervenues en 1992, mais tout cela est d'autant plus confus que ça ne correspondait plus à rien depuis longtemps ; comme je ne vais plus guère dans cette région, je n'ai pas réussi à éclairer ce point par des témoignages.

En revanche ces particularités douanières de la "zône", portion du territoire français exemptée de droits de douane pour certaines denrées, me rappellent nombre de souvenirs d'enfance. La maison de mon oncle se trouvant à quelques mètres de la "guérite" de la zône, j'allais faire la plupart des courses quotidiennes de l'autre côté du petit pont qui franchissait la voie du chemin de fer, non plus "sur" Annemasse mais "sur" Ambilly donc "en zône", où nombre de marchandises et en particulier le beurre, qui venait du Danemark, coûtait beaucoup moins cher que de l'autre côté du pont où les rares épiciers ne faisaient guère d'affaires !


 

Ce qui me frappait le plus toutefois était la "guérite" placée à l'entrée du pont qui abritait, en permanence, un douanier qui, par temps froid, se réfugiait dans son abri où régnait la douce chaleur d'un poële et qui, par beau temps, sortait sa chaise devant la porte pour contempler de plus près les passants et les voitures, sans jamais demander quoi que ce soit à qui que ce soit. On racontait, par plaisanterie, dans le pays, que, pour devenir douanier, il fallait passer un examen spécial qui consistait à rester assis six heures durant sur une chaise sans en bouger. Il est exact que l'activité de ces fonctionnaires semblait se résumer à cela. Il faut reconnaître (et j'en connaissais quelques-uns) que nombre d'entre eux avaient carrément un second métier et que, lorsque leur temps de contemplation, était terminé, ils se faisaient plombiers, électriciens ou allaient travailler dans leur jardin. Non loin de là, sur la nationale vers Genève, à ce que l'on appelait "Annemasse route", il y avait un poste de zône important se trouvaient plusieurs douaniers, dont l'activité est tout aussi modeste, puisque la plupart des véhicules et des transports qui arrivaient de la vraie frontière suisse, à quelques kilomètres, ne jugeaient, pour la plupart, pas utile de s'arrêter ni même de ralentir, sauf pour saluer de la main, par la portière, un gabelou connu. Toutefois, comme ces douaniers étaient là en nombre, ils pouvaient au moins faire la conversation entre eux!

Tout cela a duré, à ma connaissance, un bon demi-siècle et ne servait évidemment rigoureusement à rien en coûtant fort cher. En effet, non seulement les postes de douane de la "zone" n'avaient aucune activité, mais, en outre, les gens du pays connaissaient tous, pour passer en Suisse, les petites routes où il n'y avait pas de poste "de zône" et qui permettaient donc d'aller à Genève depuis Annemasse sans avoir à rencontrer quelque douanier que ce soit à la limite de la "zône".

Je m'interroge d'ailleurs (et peut-être plus encore) sur l'activité générale des services des douanes, dans la mesure où, dans tous les voyages récents que j'ai faits en Europe et même en passant de la France à la Suisse qui, sauf erreur de ma part, n'est pas membre de la communauté européenne, on ne voit plus guère de douaniers dans les postes de douane aux limites du territoire, même s'il ne me semble pas que le nombre des fonctionnaires de la douane ait été sensiblement réduit depuis l'émergence des nouvelles institutions. On est passé ainsi, je crois, de 20.000 (environ avant les accords européens) à 18.226 en 2009, ce qui n'est pas très significatif!

Ce sont plutôt mes souvenirs d'enfance et d'adolescence qui m'ont poussé vers ce sujet que le souci d'une étude précise de cette question que je laisse volontiers à d'autres et en particulier à notre gouvernement qui cherche à faire des économies!

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je suis allé consulter l'article de Wikpédia sur le sujet. Tous ces imbroglios laissés par l'histoire sont fascinants.
On parle de "confettis de l'Empire colonial". On pourrait de même parler de confettis de l'Histoire.
Merci.