L'affaire du Mali est décidément pleine
de surprises et ce n'est sans doute pas fini !
On se souvient que quelques
centaines de soldats français devaient, en soutien logistique et appui aérien,
n'intervenir que derrière les troupes maliennes et/ou, éventuellement, si elles
arrivaient un jour, celles de la CEDEAO. Voilà que nous avons là-bas quatre
mille militaires français sur le théâtre des opérations. Les affaires sont menées
à la vitesse de l'éclair (moins d'un mois) et Gao, puis Tombouctou et enfin
Kidal sont tombées comme des fruits mûrs dans l'escarcelle des forces françaises,
même si l'affaire de Kidal mérite tout de même attention dans la mesure où les
insurgés ennemis, devenus du jour au lendemain nos alliés, se sont opposés à
l'arrivée sur place des troupes maliennes gouvernementales. On ne sait pas
d'ailleurs trop en quoi consiste ces troupes quand on a vu, sur nos chaînes de
télévision, les simulacres d'entraînement de troupes sans armes ni munitions
qui devaient imiter les bruits de la guerre pour donner plus de vraisemblance
ou, pire encore, l'antagonisme manifeste entre les bérets rouges et verts des
forces du Mali (voir le post-scriptum de ce blog, à l'instant)..
Bref tout cela été rondement mené
et les troupes françaises, les seules à intervenir pour autre chose que de la
figuration, devraient, selon nos autorités, se retirer des opérations dès que
possible.
"Hic jacet lepus" comme
disait Jules César que j'évoquerai plus loin pour tout autre chose ! La
commodité d'une telle expression tient à son élasticité ; comme je le disais dans un
blog précédent, elle pose le même problème mais offre la même facilité que le
refroidissement du fût du canon, cher au regretté Fernand Raynaud : cela peut
prendre « un certain temps ».
Ne soyons pas mesquins et
n'évoquons pas de prévisibles difficultés concrètes en envisageant, par exemple,
le cas des troupes de la CEDEAO et, par exemple, des deux des principaux
contingents qui pourraient l'alimenter, ceux du Tchad et du Nigéria. Je ne
parle même pas ici de l'entraînement militaire de ces troupes car, vu la
situation intérieure de ces deux pays, leurs militaires doivent être confrontés
de façon fréquente à des situations de guerre. En revanche, la communication au
sein de cette formation, même si elle est mise sous la tutelle de l'ONU, posera
problème dans la mesure où, dans le meilleur des cas, les Tchadiens seraient
francophones et les Nigériens anglophones. On devine déjà que cela pose
quelques problèmes et qu'on ne peut guère envisager de les résoudre par le
recours aux langues africaines, puisque elles ne sont évidemment pas communes à
ces deux territoires et encore plus différentes entre elles que les deux
idiomes européens. Comme disait le général, en de toute autre circonstance, on
ne peut que leur souhaiter,par avance, bien du plaisir. Ajoutons, que ces
troupes onusiennes ou autres ne brillent pas par leur discipline et que les
situations dans lesquelles elles se trouveront pourraient conduire aux pires de
ce qu'on appelle actuellement (le terme est à la mode) des "exactions".
Le problème pourrait susciter de
nombreux commentaires, je me limiterai à deux, l'un lexical, l'autre historique,
car je suis bien loin d'être un expert en stratégie militaire comme ces "'chers"
pigistes qui hantent nos écrans et monopolisent les micros.
Quand on y réfléchit un instant, il
n'y a pas lieu d'être tellement étonné de voir, dans la zone sahélienne,
pratiquer l'enlèvement d'otages, dans la mesure où il y a là une pratique qui
est multiséculaire sous la forme des "rezzous" où l'on se procurait
non des otages mais des esclaves. Il y a même des précédents illustres plus
anciens encore, dans un tout autre lieu, puisqu'on pourrait, au fond, assimiler
la guerre des Gaules que Jules César a assez complaisamment décrite à une action
de cette nature. Le principal et le vrai
but de César, qui ne le dit pas naturellement dans son De bello gallico, était de se procurer
des esclaves dont la vente lui permettrait de financer son action politique.
L'attaque de l'Andalousie par les Arabes (ou les Sarrasins comme on disait
autrefois) est regardée par certains historiens comme une action initialement
du même genre. Alors esclaves ou otages...Les seconds sont plus chers que les premiers puisque la France qui n'a jamais payé, a versé 17 millions de $. C'est comme ces mâles qui ne vont jamais aux putes !
Sans m'étendre davantage sur le lexique, je ne vous
donnerai ici que le bref article que le TLF consacre au mot "rezzou".
"Rezzou
: substantif masculin. Bande armée qui fait une razzia en Afrique du Nord et au
Sahara; p. méton., razzia. Des rezzous (...) marchaient vers le sud,
volant leurs chameaux par centaines (SAINT-EXUP., Terre hommes,
1939, p. 196).
Prononciation.: [
]. Étymologie et histoire : 1883 r'zou « bande armée
constituée pour un raid de pillage » (C. TRUMELET dans R. africaine, p.
121: le commandement de ce r'zou); 1897 rhezzou (Capitaine DE
L'EPREVIER, Voyage dans le Sud Algérien in B. de la Sté de géogr.
d'Alger, II, 1897, p. 260 cité par R. ARVEILLER dans Mél. P. Larthomas,
1985, p. 21); [...] Emprunt. à l'arabe.
(prononcé
en ar. maghrébin) « expédition militaire,
incursion, raid, attaque; troupe armée pour faire une razzia », mot de même
orig. que razzia*. Le mot a plusieurs significations : employé en tant
que nom commun : une razzia est une attaque, une incursion rapide en
territoire étranger, dans le but de prendre le butin. Le terme provient du mot
arabe ġazwa (غزو : raid ; invasion ; conquête). Au Sahara, à l'époque
où les Touaregs utilisaient cette pratique, cela
prenait le nom de rezzou." TLF.
Prononciation.: [
J'introduirai ma seconde remarque, historique celle-ci, par référence au titre même de ce blog qu'il me faut bien expliquer. Il s'agit là d'une histoire beaucoup plus récente puisqu'il s'agit de la guerre entre le Tchad et la Libye dans les années 80. Nos chers experts militaires feraient bien de s'y intéresser un peu et en particulier de lire l'excellent livre (peut-être un peu épais pour eux) de Florent Sené qui porte précisément sur cette guerre : Raids dans le Sahara central (Tchad, Lybie, 1941-1987) . Sarra ou le Rezzou décisif (Paris , l'Harmattan , 2011).
Tous nos experts, en effet, et les politiques qui les suivent, pensent ne faire qu'une bouchée de ces quelques milliers de Touaregs ou assimilés avec leurs kalashnikov, leurs missiles et surtout leurs Toyota (essentielles ici, d'où le titre). Il serait bon de se souvenir, pour tempérer quelque peu cet enthousiasme, que la richissime et puissante Libye avec ses mercenaires, ses chars, ses avions, ses hélicoptères de combat (les mêmes que les nôtres puisque nous les leur vendions!) a subi une lamentable défaite (en particulier à Sarra "le rezzou décisif") face aux Tchadiens, dont les troupes et l'équipement étaient un peu semblables à ceux des forces que nous combattons dans le Nord Mali.
Ce n'était pas tout à fait les mêmes populations mais leur mode de vie et leurs pratiques quotidiennes étaient du même ordre. J'entendais; il y a peu, un nos experts dont j'ai déjà abondamment parlé, dire qu'il suffisait de les "affamer" en les coupant des lieux d'approvisionnement. Ce brave lieutenant-colonel de réserve, quoique titulaire d'un DEA d'histoire dont il n'est pas peu fier, ne doit pas connaître ce que l'on dit des Toubous du Tchad et qu'on pourrait sans doute dire des Tamasheqs du Mali. Je vais donc le lui apprendre
Une datte nourrit un Toubou pendant trois jours; le premier jour, il mange la peau, le deuxième la chair, le troisième le noyau !
C'est tout dire! Ajoutez que des siècles de vie dans le désert leur en ont rendu familiers tous les secrets et toutes les ressources et qu'ils se déplacent à peu près sans rien, trouvant toujours sur place de quoi subsister durant les dizaines voir les centaines de kilomètres qu'ils parcourent ainsi.
Un bon conseil, Messieurs les
experts et les politiques, allez donc lire le livre de F. Sené et réfléchissez un
peu plus.
PS : 11 heures, vendredi 8
février 2013. En rédigeant ce blog, j'apprends que les premiers affrontements
au sein même des troupes maliennes (entre bérets "verts" et
"rouges") viennent d'avoir lieu à Bamako.
Dernière minute : "Depuis 6 heures, des militaires lourdement armés, tous corps confondus, ont attaqué le camp. En ce moment même, ils sont en train de tirer sur nos femmes et nos enfants", a déclaré Yaya Bouaré, un béret rouge se trouvant dans le camp de Djicorni. "Il y a plusieurs blessés dans le camp", a-t-il ajouté. Ses propos ont été confirmés par des habitants vivant à proximité de cette base militaire.".
Dernière minute : "Depuis 6 heures, des militaires lourdement armés, tous corps confondus, ont attaqué le camp. En ce moment même, ils sont en train de tirer sur nos femmes et nos enfants", a déclaré Yaya Bouaré, un béret rouge se trouvant dans le camp de Djicorni. "Il y a plusieurs blessés dans le camp", a-t-il ajouté. Ses propos ont été confirmés par des habitants vivant à proximité de cette base militaire.".
2 commentaires:
Cher Usbek,
ayant trainé mes rangers dans les années 80 au Tchad, je ne puis que confirmer les propos que vous tenez au sujet des rezzous.
J'ai été très étonné de constater cette espèce d'euphorie victorieuse lors de la visite de notre président au Mali (l'écrire ailleurs m'a d'ailleurs valu de sévères critiques). Car militairement, au moins au sol, rien ne s'est passé et je ne peux pas imaginer que l'état-major puisse partager cet enthousiasme surtout dans la mesure où certains de ses membres peuvent et ont dans doute connu le Tchad dans ses années où les FANT (forces armées nationale tchadiennes) de Hissène Habré, et commandées à l'époque par Idriss Déby après avoir mené la guerre contre les cousins du Nord de Goukouni Oueddeye ont bouté hors du Tchad les Libyens. Et effectivement avec leurs Toyotas, selon une technique (de la boule de feu) pas vraiment élaborée mais par contre aussi impressionnante qu'efficace, surtout quand l'effet de surprise est utilisé, ce qui fut le cas à Sarra.Je ne comprends d'ailleurs pas que Toyota ne se serve pas de ces raids pour se faire une bonne pub et démontrer qu'un de ses pick-up peut embarquer autant d'hommes en armes qu'un bus.
Par ailleurs ces combattant ont cet immense avantage de ne guère avoir peur de la mort, quand ils ne se croient pas invulnérables grâce à leurs grigris. Si celui qui est à côté tombe, c'est juste parce qu'il n'avait pas le bon.
Du coup se tirer n'est peut-être pas une mauvaise option car les risques me paraissent quand même assez grands. Même un seul raid réussi de la part des islamisto-terroristes, pour ne pas faire de jaloux, aurait des conséquences assez désastreuses au moins au point de vue psychologique, sans parler évidemment des conséquences politiques.
Vouloir les affamer est évidemment un non-sens. Tout au plus peut-on faire l'effort de tenter de neutraliser les approvisionnements en carburant.
Cher Expat,
Merci de ce commentaire, comme toujours si pertinent mais en outre fondé sur une expérience si directe de ces terrains et de ce type de conflit. Les nouvelles du jour sont de moins en moins bonnes même si on ne leur fait guère écho dans les médias ! Usbek
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